" Il faut définir ce qu'est une nanoparticule "
Pour Eric Gaffet1 , spécialiste des nanomatériaux, il est urgent de donner une définition exhaustive des nanoparticules, afin que les entreprises puissent organiser la prévention.
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Eric Gaffet est directeur de recherche au CNRS (université de technologie de Belfort-Montbéliard) et responsable du Nanomaterials Research Group. Il a présidé les groupes de travail réunis par l'Afsset pour les expertises " Effets des nanomatériaux sur la santé de l'homme et sur l'environnement " (2006) et " Nanomatériaux et sécurité au travail " (2008).
La toxicité des nanomatériaux est-elle bien documentée ?
Eric Gaffet : Elle s'améliore, mais reste incomplète. Depuis 2005, le nombre annuel d'articles scientifiques consacrés à la toxicité ou à l'écotoxicité des nanomatériaux a été multiplié par dix. Mais la caractérisation des nanomatériaux nécessite la prise en compte de huit paramètres (la taille, la forme, la structure, l'état de charge, etc.). Jusqu'en 2007, 80 % des études ne fournissaient que très peu d'informations sur ces paramètres. Cela ne remet pas en cause les résultats obtenus, mais cela rend difficile l'interprétation. Chaque nanoparticule aura sa toxicité ou son écotoxicité propres en fonction de ces huit paramètres qui ne seront jamais identiques, par exemple du fait de conditions de stockage différentes.
Quelles conséquences cela a-t-il pour l'évaluation du risque lié aux nanomatériaux ?
E. G. : Il faut prendre en compte tout le cycle de vie du nanomatériau : l'exposition en usine, lors de la mise en oeuvre ; l'exposition pour le consommateur, dans des conditions normales d'utilisation et lors d'accidents ; enfin, l'effet sur l'environnement. Ainsi, utilisé dans des crèmes solaires comme dans des peintures, le TiO2 peut donc se retrouver dans les eaux, mais aussi dans l'air du fait du vent, de l'érosion, puis dans le sol.
L'évaluation de la toxicité et des risques liés aux nanomatériaux est-elle satisfaisante ?
E. G. : Nous avons connu une véritable évolution par rapport à la période 2006-2007. Nous disposons à présent d'un nombre d'appareils de mesure suffisant et du retour d'expérience de gens qui effectuent des mesures dans les usines. En l'absence de précautions particulières, il existe une émission de nanoparticules dans les ateliers. Cela impose de mettre en oeuvre des moyens de protection, d'autant que ceux-ci existent et sont efficaces. En 2008, l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) a publié un guide de bonnes pratiques. L'Union des industries chimiques a suivi. L'efficacité des moyens de protection, y compris vestimentaires, est évaluée dans le cadre du projet européen Nanosafe, piloté par le Commissariat à l'énergie atomique, qui recommande par exemple de privilégier les blouses non tissées et de proscrire celles en coton.
Comment formuler des recommandations en l'absence de normes étayées ?
E. G. : Les normes utilisées ne reposent pas sur grand-chose. Le bureau de normalisation britannique BSI préconise d'appliquer aux nanoparticules des valeurs obtenues en divisant par 10 ou 15 celles des teneurs en particules microniques. Des firmes comme Bayer proposent leur propre seuil maximum pour les nanotubes de carbone. Le texte formulé en 2008 par l'Organisation internationale de normalisation (ISO) pour définir les nano-objets est critiqué. Une définition englobant tout le champ nano est donc toujours nécessaire, mais il la faut dès maintenant pour que les entreprises mettent en oeuvre des moyens de protection et de prévention. Pour appliquer les dispositions de la loi Grenelle 2 sur les substances à l'état de nanoparticules, il faut définir ce qu'est une nanoparticule. Seul le Canada a produit une définition1 . Si la définition est trop restrictive, se contentant par exemple d'une taille de 1 à 100 nanomètres, il ne serait pas surprenant qu'un certain nombre de produits industriels aient une taille de 101 nanomètres et échappent à la réglementation...
Comment évaluer les très nombreux nanomatériaux qui se trouvent déjà en circulation sur le marché ?
E. G. : Il existe plus de 2 000 nanoparticules commercialisées. Si l'on prend en compte les huit paramètres évoqués précédemment, le nombre est beaucoup plus grand. Cinquante ans seraient nécessaires pour toutes les étudier. Il faut donc hiérarchiser les priorités, comme l'a fait l'OCDE en établissant une liste de 14 nanoparticules d'intérêt prioritaire. ?