Laure Ignace, Léna Gentric, Marilyn Baldeck, Mylène Hadji, Gisèle Amoussou et Laetitia Bernard (de g. à dr.) - © Nathanaël Mergui/Mutualité française
Laure Ignace, Léna Gentric, Marilyn Baldeck, Mylène Hadji, Gisèle Amoussou et Laetitia Bernard (de g. à dr.) - © Nathanaël Mergui/Mutualité française

AVFT : pour le respect des femmes au travail

par Nathalie Quéruel / juillet 2016

Depuis trente ans, cette association combat les violences faites aux femmes au travail. Son arme ? Le droit, qu'elle fait valoir devant les tribunaux pour défendre les victimes. Elle agit aussi sur le front de la prévention, au travers de formations.

Elles ne cessent de courir, débordées. De leurs locaux parisiens à une salle d'audience en région, d'un colloque à une formation, en passant par le Sénat ou l'Assemblée nationale pour une audition... Sans parler de leurs interventions dans les médias, quand l'actualité requiert leur analyse - ce fut le cas en mai dernier, à propos de l'affaire Denis Baupin, accusé de harcèlement et d'agression sexuels par plusieurs femmes politiques. Elles forment une petite équipe, qui dispose de peu de moyens mais abat un travail colossal. Assistées de deux stagiaires, Marilyn Baldeck, déléguée générale, Laure Ignace, Laetitia Bernard et Gisèle Amoussou, les juristes chargées de mission, sont les forces vives de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Créée en 1985 par Yvette Feuillet, eurodéputée, Marie-Victoire Louis, militante et chercheuse féministe, et une femme victime de harcèlement sexuel dans un ministère, l'AVFT accompagne les femmes victimes de violences sexistes ou sexuelles au travail. Et s'attache à faire connaître la réalité des faits, à les dénoncer et les prévenir en se battant sur les fronts judiciaire et législatif. L'association est notamment à l'origine des lois de 1992 réprimant le harcèlement sexuel.

Soutien moral et juridique

Aux femmes qui les appellent - près d'une centaine en 2015 -, elles proposent une écoute, un soutien moral et juridique. "Depuis 2014, nous sommes contraintes de réduire le nombre de saisines, explique Marilyn Baldeck. Nous apportons, aux victimes les plus autonomes, des conseils et une aide pratique, sans ouvrir de dossier. Nous priorisons, en concentrant nos moyens sur les situations urgentes ou complexes. Et nous cherchons à transférer nos compétences vers d'autres professionnels, comme les représentants syndicaux." L'ouverture d'un dossier à l'AVFT commence par le recueil de la parole des victimes, selon une procédure bien établie : premier entretien téléphonique, puis récit écrit, suivi d'échanges de visu avec une salariée de l'association. Pour Marie Pezé, psychologue et responsable du réseau de consultations souffrance au travail, cette approche ressemble à celle qu'elle utilise pour les victimes de harcèlement moral : "La répétition est nécessaire pour mettre le témoignage à l'épreuve des faits, valider sa cohérence et faire émerger un faisceau d'indices, avant d'engager des démarches."

La plupart des femmes qui font appel à l'AVFT sont en arrêt maladie. "Les employeurs essaient alors de régler la situation en leur proposant un changement de poste ou une mutation, indique Laure Ignace. En revanche, le harceleur n'est pas inquiété. Nous défendons le principe que ce dernier soit mis à pied pendant qu'on procède en interne à l'examen des faits." Le plus souvent, l'affaire se solde par un licenciement pour inaptitude ou une rupture imputable à l'employeur. "La contestation de ces licenciements devant les prud'hommes représente 90 % de nos actions, précise Marilyn Baldeck. Les procédures pénales sont rares, car les parquets, débordés mais également peu enclins à faire de la lutte contre ces violences une priorité, poursuivent peu, et ce, d'autant moins qu'il n'y a souvent pas eu d'enquête sérieuse menée par la police." Là se situe l'originalité de la démarche de l'association : elle se constitue partie civile dans la procédure pénale des victimes. Et quand une affaire est portée devant le conseil des prud'hommes, elle fait une "intervention volontaire" aux côtés de l'avocat de la victime. L'employeur est alors attaqué pour défaut de prévention et non-respect de ses obligations légales relatives au harcèlement sexuel. "Nous sommes un tiers qui apporte un éclairage supplémentaire et qui équilibre les rapports de pouvoir entre la justice, les avocats et les victimes", résume Marilyn Baldeck.

Une aide précieuse aux yeux d'Agnès Cittadini, une avocate qui défend notamment les victimes de harcèlement sexuel : "L'expertise de l'association, que ce soit en termes de chiffres ou d'explications sur les stratégies de défense de l'agresseur, permet de remettre les pièces du dossier dans un contexte." Pour sa part, Marie Pezé, reconnaissant à l'équipe "une grande capacité rhétorique", salue "son travail remarquable d'explicitation des ressorts de la domination et des rapports sociaux de sexe". Toutefois, cette présence des juristes de l'association dans les prétoires n'a pas toujours été du goût de tous : certains avocats, sourcilleux de leurs prérogatives, et même des conseillers prud'homaux représentant les salariés ont vu leur intervention comme une forme de concurrence. "Depuis, les lignes ont bougé, estime Laure Ignace. Les syndicats, qui ne se mobilisaient pas forcément contre les violences faites aux femmes, nous sollicitent de plus en plus pour que nous leur donnions des outils, que nous participions à des colloques ou des journées de formation destinées à leurs adhérents."

La formation constitue en effet un volet important de l'action de l'AVFT. Organisme agréé en la matière, elle propose d'animer des ateliers de sensibilisation dans les entreprises, les administrations ou les collectivités territoriales. Elle forme aussi les professionnels concernés (policiers, gendarmes, professionnels de santé, inspecteurs du travail, médecins du travail, syndicalistes...), en utilisant des vidéos ou le théâtre. Jean-Louis Osvath, inspecteur du travail dans les Hauts-de-Seine, a assisté à deux reprises à ces représentations théâtrales interactives mises en oeuvre par la compagnie Dé(s)amorce(s), partenaire de l'association : "Cela a éclairé ma compréhension du sujet et la façon dont on peut mener des enquêtes sur un harcèlement sexuel, qui sont difficiles parce que les témoins prêts à s'exprimer sont rares." A la CFDT Paris, de nombreux conseillers prud'homaux ont été formés depuis 2009 par l'association. "Elle a à la fois une expertise juridique de haute tenue et une expérience de longue date dans l'accompagnement des victimes que nous n'avons pas, parce que ces dernières se tournent très peu vers les organisations syndicales, témoigne son secrétaire général, Christophe Dague. Les formations sont enrichissantes et donnent envie aux élus de prendre ce sujet en main. C'est important, car, si l'association accomplit un travail exemplaire avec les victimes, celles-ci ne sont souvent plus dans l'entreprise, poussées à la démission ou licenciées. Il faut que les représentants syndicaux, à l'intérieur des organisations, agissent en prévention."

Faire avancer la loi

L'AVFT édite également des documents pratiques, comme Violences sexistes et sexuelles au travail, un guide à l'attention des employeurs. Et comme si elle n'avait pas suffisamment de pain sur la planche, elle organise aussi régulièrement des collectes de dons pour soutenir les procédures judiciaires de femmes à bout de ressources financières. "Ce sont des personnes engagées, qui croient en ce qu'elles font", souligne Agnès Cittadini à propos des membres de l'équipe. En ce printemps maussade, c'est une avancée de la loi qui mobilise la troupe. Elle milite en effet pour une indemnisation plancher, équivalente à douze mois de salaire, en cas de licenciement discriminatoire touchant une victime de harcèlement sexuel. Cette proposition a fait l'objet d'un amendement dans le projet de loi travail, mais elle a été rejetée par l'Assemblée nationale. Nul doute que l'AVFT va repartir au combat...