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La CGT dresse un bilan contrasté du télétravail

par Rozenn Le Saint / 30 janvier 2024

Plébiscité par les salariés, le travail à distance peut néanmoins entraîner une augmentation du temps et de la charge de travail. Un rapport de l’Observatoire du télétravail de l’Ugict-CGT plaide pour un aménagement des accords afin de prévenir les risques pour la santé.

Le télétravail est-il vraiment un accord gagnant-gagnant pour les employeurs comme pour les employés ? Bien que les salariés soient globalement satisfaits d’exercer leur activité « hors les murs » de leur entreprise, ils déclarent en même temps travailler plus longtemps depuis chez eux. Et le Code du travail n’est pas toujours respecté. Ce sont des enseignements tirés du premier rapport publié début décembre par l’Observatoire du télétravail, un an après son lancement à l’initiative de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT (Ugict-CGT). Cet observatoire réunit des syndicalistes et des sociologues, psychologues ou économistes.
5 400 réponses à 117 questions ont été analysées pour en savoir davantage sur la perception du travail à distance et les enseignements qu’il est possible d’en tirer, notamment en termes de santé au travail. « La majorité des télétravailleurs ont un très bon ressenti du télétravail, ils n’auraient pas envie de changer car cela leur permet de reprendre la main sur leur temps de travail et son organisation. Ils le vivent comme une petite victoire », commente Emmanuelle Lavignac, membre du bureau de l’Ugict-CGT.
Le « profil type » du télétravailleur est une télétravailleuse âgée de 30 ans à 39 ans, qui travaille comme cadre ou ingénieure dans le secteur de l’informatique, des télécommunications ou de l’industrie. « En raison de problématiques de parentalité et de conciliation de vie personnelle et professionnelle, il n’est pas étonnant que le télétravail concerne davantage les femmes de cette tranche d’âge. Il s’agit de personnes relativement à l’aise dans leur poste, qui n’ont pas besoin de se montrer au bureau, de la génération qui maîtrise bien les outils de travail à distance », observe Caroline Diard, professeure associée en management des RH à TBS Business School et membre de l’observatoire.

Journées à rallonge

« Le télétravail constitue un pis-aller, à défaut d’une diminution de la charge de travail ou d’une réduction du temps de travail », analyse Emmanuelle Lavignac. En moyenne, les salariés interrogés travaillent à la maison deux jours par semaine et s’épargnent à chaque fois une durée de trajet comprise entre 1 heure et 1 h 30. « Ce temps gagné est utilisé pour du repos mais aussi pour travailler, surtout pour les personnes en forfait jours », continue-t-elle. Résultat, des journées à rallonge. Plus de la moitié des interrogés disent que leur entreprise ne réalise pas d’évaluation du temps de travail ni de la charge de travail, en dépit de leur obligation légale. « Le forfait jours est à la racine du mal, avec des personnes en zone grise qui travaillent beaucoup. L’employeur fait comme s’il ne savait pas. Et le télétravail amplifie cette tendance », renchérit Caroline Diard. Pour Emmanuelle Lavignac de l’Ugict, cette enquête de l’observatoire vient rappeler la nécessité d'un « encadrement du temps de travail avec un respect des temps maximaux, y compris pour les cadres en forfait jours, et une définition claire des plages horaires pendant lesquelles les salariés sont joignables ».
L’hyperconnexion est un autre point de vigilance soulevé par l’étude. « Les personnes ont du mal à déconnecter à la maison. Ce n’est pas forcément en raison d’une injonction de la hiérarchie, cela peut être en lien avec le "syndrome du bon élève", à l’envie de bien faire, de montrer que… », relève Caroline Diard. Le droit à la déconnexion est pourtant inscrit dans le Code du travail afin de protéger la santé des salariés. Comme le souligne Caroline Diard, l’employeur a, à ce titre, une obligation de sécurité. 

Des clés utiles aux négociations

Par ailleurs, près d’un tiers des salariés interrogés continuent de travailler à la maison quand ils sont souffrants plutôt que de voir un médecin pour obtenir un arrêt maladie. Parmi les raisons invoquées, celle de ne pas avoir accès à un médecin rapidement, comme bon nombre de Français. Mais plus d’un tiers des personnes interrogées ne s’arrêtent pas par crainte de trouver une charge de travail trop importante à leur retour, tandis qu’un tiers souhaite éviter une perte de salaire. « Cette étude donne des clés utiles aux négociations ou renégociations des accords de télétravail, notamment s’agissant de la protection de la santé au travail, estime la professeure en management. Une visite supplémentaire auprès de la médecine du travail pourrait par exemple être demandée pour les salariés qui travaillent plus de deux jours par semaine à domicile. »
Pour la CGT, il est également important de rappeler les droits du personnel au regard de la prise en charge des dépenses afférentes au télétravail. « Nous plaidons pour une prise en charge intégrale de ces dépenses par l’entreprise, poursuit Emmanuelle Lavignac. Beaucoup d’équipements de bureau ne sont pas financés par l’employeur, celui-ci devrait également s’acquitter de la connexion internet, d’une partie du loyer et de la facture du chauffage. » Parmi la liste des autres points très concrets à améliorer selon l’Ugict : une meilleure consultation des salariés concernant l’organisation du télétravail et de ce qu’elle a modifié, comme les aménagements des espaces de travail avec de plus en plus de flex office… sans assurance de retrouver un bureau à soi pour les journées en présentiel.