La surmortalité des égoutiers refait surface

par Frédéric Lavignette / juillet 2016

Dans un avis récemment publié, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) confirme l'exposition des égoutiers à de multiples toxiques, sans pour autant pouvoir attribuer à l'un d'entre eux la surmortalité attestée dans cette profession.

En 2010, le niveau d'inquiétude des égoutiers de la Ville de Paris était nettement monté. Plusieurs études, dont une lancée en 2004 par l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), montraient qu'ils avaient une espérance de vie fortement réduite. Suite à la polémique déclenchée par ces données1 et pour y voir plus clair, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) s'est autosaisie de la question en 2011. Elle vient de rendre un avis établi à partir de mesures effectuées sur le terrain et d'une revue de la littérature scientifique.

Concernant la morbidité du travail, les résultats tendent à concorder. Exposés aux eaux usées, les égoutiers et opérateurs de station de traitement sont directement ou indirectement en contact avec des virus, bactéries, toxines, parasites... Du fait de l'air confiné dans les galeries, ils sont susceptibles d'inhaler des gaz, vapeurs, aérosols ou composés organiques volatils (COV). Sous forme de "cocktail", ces agents chimiques et biologiques, dont certains génotoxiques, représentent un risque potentiel pour leur santé.

Les égoutiers souffrent ainsi de troubles digestifs et respiratoires, d'irritations, de céphalées et d'asthénie. Les troubles musculo-squelettiques (TMS) sont aussi présents, de même que les risques psychosociaux. Enfin, concernant les pathologies cancéreuses, "les résultats des études de mortalité de l'INRS sont concordants avec ceux des autres études épidémiologiques recensées dans la littérature" : le nombre de cancers du foie et du poumon est particulièrement significatif.

Plusieurs inconnues

L'Anses tient cependant à rester prudente. Les risques peuvent en effet varier selon les agglomérations, la durée d'exposition et le type de réseau d'assainissement, qui détermine les sources de pollution (eaux usées domestiques, ou industrielles et commerciales, eaux de pluie polluées...). Ensuite, du fait du caractère multifactoriel des pathologies constatées, "il n'est pas possible d'identifier un ou plusieurs risques spécifique(s) responsables(s) de la surmortalité observée".

La campagne de mesures réalisée à l'initiative de l'Anses met néanmoins en évidence des situations exposantes : nettoyage à haute pression, curage avec engin, extraction des bassins de dessablement. Voire une concentration élevée de certains polluants "lors de la réalisation de tâches supposées moins exposantes, comme par exemple la collecte d'informations". D'où toute une liste de recommandations : suivi médical renforcé ; amélioration des contrôles dans le réseau ; développement de la formation professionnelle ; renforcement des équipements de protection ; traçabilité des expositions...

Pour Henri Bastos, adjoint du directeur de l'évaluation des risques à l'Anses, "cette étude est une étape importante, car elle met en évidence une polyexposition et apporte des mesures rares sur le sujet". Un avis que ne partage pas le Dr Claude Danglot, ex-médecin en charge des maladies infectieuses à la Ville de Paris, auditionné par l'Anses : "Certes, j'ai été entendu, mais mes hypothèses ont été regardées avec beaucoup de commisération et considérées comme invraisemblables. Quant aux recommandations, elles sont en deçà de ce qu'il fallait proposer."