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Travailler avec une maladie chronique

par François Desriaux / janvier 2016

Le maintien dans l'emploi ou au travail des personnes atteintes d'une maladie chronique évolutive, c'est un peu comme la lutte contre le réchauffement climatique : plus personne ne peut nier qu'il s'agit d'un impératif, beaucoup de structures affichent leur ambition, mais la réalité des engagements est rarement à la hauteur. Pourtant, l'âge de la retraite reculant et la part de malades chroniques augmentant avec l'âge, le monde du travail va être de plus en plus souvent confronté à la nécessité de combiner deux états - actif et malade - qui, jusqu'à présent, ont été pensés comme antagonistes. L'aménagement du poste sur un plan ergonomique comme des horaires, pour tenir compte de la fatigue ou des soins, est un premier passage obligé en matière d'adaptation. Changer le regard de la hiérarchie et des collègues permettra d'augmenter les chances que la "greffe" prenne. Mais pour éviter les "rejets", il est aussi fondamental de réfléchir à l'organisation du travail, aux marges de manœuvre des équipes, à l'adéquation entre les objectifs et les moyens humains. Sinon, la seule bonne volonté des uns et des autres ne suffira pas.

Le rôle méconnu des expositions professionnelles

par Gérard Lasfargues professeur de médecine du travail / janvier 2016

Qu'est-ce qu'une maladie chronique évolutive ? Derrière ces pathologies, dont le nombre augmente avec le vieillissement de la population et certains modes de vie, se cachent des facteurs environnementaux, mais aussi professionnels.

Les maladies chroniques évolutives ou maladies non transmissibles sont regroupées principalement en cinq groupes : cancers ; maladies respiratoires chroniques (bronchopneumopathie chronique obstructive [BPCO], asthme...) ; maladies cardiovasculaires (maladies coronariennes, accidents vasculaires cérébraux) ; maladies neurodégénératives (de Parkinson, d'Alzheimer...) ; maladies métaboliques (obésité, diabète...).

Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), elles tuent plus de 36 millions de personnes dans le monde chaque année. L'augmentation importante de la fréquence de ces pathologies est mise en rapport avec le vieillissement de la population, l'urbanisation rapide et non planifiée et la mondialisation de modes de vie défavorables à la santé.

Agents allergènes

Les rapports nationaux ou internationaux récents traitant des maladies chroniques abordent en général bien la problématique des déterminants environnementaux généraux, tels que les questions de pollution des milieux (air, eau, etc.), à côté des déterminants liés aux modes de vie et comportements individuels (sédentarité, consommation de tabac, d'alcool, facteurs nutritionnels...). La pollution atmosphérique, par exemple, avec ses conséquences en termes de maladies respiratoires, de cancers mais aussi de maladies cardiovasculaires, est reconnue comme le principal risque environnemental pour la santé dans le monde. En revanche, le rôle causal, favorisant ou aggravant, des expositions professionnelles, bien que reconnu pour certaines pathologies comme les maladies respiratoires, reste largement sous-estimé, voire ignoré pour la majorité des maladies chroniques. Les déterminants sociaux des inégalités de santé sont eux-mêmes observés à un échelon global, via les différentiels de catégories socioprofessionnelles, sans aborder de façon plus précise les questions du travail et des expositions professionnelles. Les niveaux d'exposition les plus importants en milieu de travail touchent pourtant les populations qui sont aussi les plus exposées au risque de maladie chronique dans leur environnement général.

Les connaissances les plus développées aujourd'hui sur les facteurs de risques professionnels portent sur les maladies respiratoires et les cancers. De nombreux agents allergènes ou irritants en milieu de travail sont à l'origine d'asthmes et peuvent aussi engendrer ou aggraver des BPCO, avec des conséquences fréquemment délétères sur les trajectoires professionnelles des travailleurs atteints. Concernant les cancers, des agents comme l'amiante, le benzène, les rayonnements ionisants, divers composés métalliques, minéraux ou organiques, ou encore des agents biologiques sont reconnus comme des facteurs causaux et inscrits dans les tableaux de maladies professionnelles indemnisables. Rappelons que l'Institut de veille sanitaire (InVS) a estimé que 4 % à 8,5 % des cancers en France étaient liés à une exposition professionnelle, ce qui représente entre 11 000 et 23 000 nouveaux cas par an. La dernière enquête Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels (Sumer), menée en 2010, fait état de 10 % des salariés, soit près de 2,2 millions, exposés à au moins un produit chimique cancérogène dans la semaine précédant l'enquête, les plus fréquemment retrouvés étant les gaz d'échappement diesel, les huiles entières minérales, les poussières de bois, la silice cristalline ou des agents organiques comme le formaldéhyde.

Un rôle dans les cancers hormonodépendants ?

A côté de ces expositions reconnues, des questions se posent aujourd'hui sur la responsabilité de facteurs professionnels dans les cancers hormonodépendants, comme celui du sein chez la femme ou de la prostate chez l'homme, et plus globalement sur le rôle de l'exposition professionnelle aux perturbateurs endocriniens dans la genèse des maladies métaboliques chroniques (obésité, diabète, dyslipidémies...) et cardiovasculaires. Les agents perturbateurs endocriniens sont très variés et les expositions potentiellement présentes dans de nombreux domaines d'activité : plastifiants comme le bisphénol A ou les phtalates, composés polybromés ou perfluorés, polychlorobiphényles (PCB) et dioxines, parabènes des cosmétiques, pesticides, éthers de glycol... Une meilleure caractérisation des situations d'exposition professionnelle à ces perturbateurs reste un préalable indispensable pour évaluer les risques encourus par les travailleurs concernés. Et pour prioriser les actions de prévention primaire ou de précaution vis-à-vis des troubles de la reproduction et maladies chroniques qui pourraient résulter de ces expositions. On peut ajouter à la liste certains agents non chimiques - notamment des facteurs organisationnels comme le travail posté de nuit - induisant des perturbations des voies hormonales et métaboliques liées à la disruption des rythmes circadiens et du sommeil. Les perturbations métaboliques sont elles-mêmes des facteurs de risque de maladie cardiovasculaire. Un mécanisme indirect qui vient s'ajouter aux mécanismes plus directs d'action potentielle de tels facteurs organisationnels sur le risque cardiovasculaire.

D'une façon plus générale, la relation entre expositions environnementales ou professionnelles et maladies chroniques met en jeu des mécanismes physiopathologiques potentiels multiples : inflammation et troubles du système immunitaire, troubles de coagulation et vasculaires, perturbations hormonales, métaboliques, stress oxydant pouvant favoriser les processus de vieillissement cellulaire, de génotoxicité et de cancérogenèse...

Développer les méthodes de mesure

Des progrès technologiques comme le développement des approches omiques1 et des connaissances toxicologiques sur les effets à faible dose ou sur les polyexpositions permettent de mieux appréhender ces mécanismes et de comprendre le rôle joué par les facteurs environnementaux généraux ou professionnels d'aujourd'hui dans le risque d'apparition de maladies chroniques. Au-delà, l'enjeu est aussi d'être en capacité de développer des méthodes de mesure des expositions adaptées et des biomarqueurs pertinents pour surveiller les populations exposées et pour aider à la prévention.

Relever ce défi des maladies chroniques au travail suppose de dépasser une vision de santé publique encore trop centrée sur la prévention secondaire ou tertiaire et sur la modification des comportements individuels. Il s'agit de se donner les moyens nécessaires, non seulement pour sensibiliser les professionnels de santé et les acteurs de prévention aux déterminants professionnels de ces pathologies, mais aussi pour agir sur nombre de situations de travail exposantes déjà connues pour être problématiques. Par exemple, en limitant le travail de nuit aux situations socialement ou techniquement indispensables, ou en interdisant certains produits toxiques avérés ou potentiellement dangereux, dès lors que l'on peut s'en passer. Espérons que le troisième plan national santé au travail, qui place la prévention primaire au coeur de sa démarche, s'engagera aussi dans cette voie.

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    Investigation ultrafine des mécanismes d'interaction entre les gènes et l'environnement ou des effets cellulaires ou biologiques des facteurs environnementaux.