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Mieux protéger les travailleuses enceintes

par Florence Chappert responsable du projet "Egalité, santé et conditions de travail" à l'Anact Laurence Théry directrice de l'Aract Hauts-de-France, / octobre 2017

Les femmes enceintes doivent être protégées des risques professionnels incompatibles avec l'état de grossesse. Au-delà de l'application des mesures légales, la mobilisation collective des acteurs de l'entreprise favorise leur maintien dans l'emploi.

Travailler en étant enceinte peut exposer à des risques incompatibles avec la grossesse : agents chimiques ou biologiques, postures debout, déplacements, port de charges, horaires à rallonge, pauses insuffisantes... En termes de prévention, le médecin du travail a un rôle central, mais peu connu. S'il est sollicité, il peut préconiser des aménagements de poste (suppression de certaines tâches, par exemple) ou l'affectation à un autre poste (art. R. 4624-19), de façon temporaire et en fonction des risques. Pour sa part, l'employeur procède à l'évaluation des risques, si possible en collaboration avec le médecin du travail, afin d'identifier ceux auxquels il doit soustraire les femmes enceintes, par l'aménagement ou la mutation (art. L. 1225-12). Le changement d'affectation peut se faire sur proposition de l'employeur, en accord avec le médecin du travail, mais aussi à la demande de la salariée et de son médecin traitant (art. L. 1225-7). Le CHSCT a également un rôle à jouer, puisqu'il doit contribuer à l'amélioration des conditions de travail en vue de "répondre aux problèmes liés à la maternité" (art. L. 4612-1).

Passer de la nuit au jour

Des mesures particulières s'appliquent quand la salariée occupe un poste comportant des risques spécifiques, susceptibles de compromettre sa santé et celle de l'enfant à naître. Le Code du travail interdit ainsi certaines expositions (voir encadré). S'agissant du travail de nuit, la demande de l'intéressée ou du médecin du travail pour une affectation de jour ne peut être refusée par l'employeur (art. L. 1225-9). Si ce dernier oppose un refus motivé, le contrat de travail est suspendu ; la femme enceinte perçoit alors une indemnisation de l'Assurance maladie. Enfin, les femmes enceintes doivent pouvoir se reposer en position allongée, dans des conditions appropriées (art. R. 4152-2).

Ce cadre juridique protecteur ne semble pourtant pas suffisant pour aider les entreprises à passer d'une prévention informelle à une prévention primaire discutée et partagée. L'état de grossesse d'une salariée paraît toujours vécu comme un "aléa" dans la vie de l'entreprise.

Les travaux interdits aux femmes enceintes

Afin de protéger les femmes enceintes et l'enfant à venir, le Code du travail interdit les expositions à certains produits chimiques, notamment les agents toxiques pour la reproduction des catégories 1A et 1B, le benzène ou des dérivés d'hydrocarbures aromatiques (art. D. 4152-10) ; au virus de la rubéole ou au toxoplasme si la salariée n'est pas immunisée (art. D. 4152-3) ; aux rayonnements ionisants (art. D. 4152-4 à D. 4152-7). L'exposition à des champs électromagnétiques doit être aussi faible que possible (art. R. 4152-7-1).

Sont également prohibés les travaux à l'aide d'engins du type marteau-piqueur mus à l'air comprimé (art. D. 4152-8), les travaux en milieu hyperbare sous certaines conditions (art. D. 4152-29) et l'usage du diable pour le transport de charges (art. D. 4152-12).

L'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), avec l'appui de deux associations régionales de son réseau (Aract Hauts-de-France et Nouvelle-Aquitaine), a réalisé dans le secteur de la grande distribution une étude (voir "A lire") montrant que les femmes enceintes rencontrent des difficultés à concilier leur grossesse et leur activité professionnelle, en particulier dans les postes de travail présentant des risques. Les dispositifs de prévention sont mal connus des intéressées et des services de ressources humaines. Le médecin du travail est rarement mobilisé, tant par les entreprises que par les femmes enceintes. En conséquence, ces dernières, pour se protéger et protéger l'enfant à naître, sont nombreuses à "se retirer" ou à "être retirée" précocement de leur lieu de travail au moyen de l'arrêt maladie. En effet, le maintien au travail de ces salariées rencontre généralement peu de solutions au niveau de l'organisation du travail. Une gestion individuelle des situations, axée sur l'arrêt de travail, prime sur une approche globale. C'est pourtant celle-ci qu'il faut privilégier pour permettre aux femmes enceintes de continuer à travailler.

Diffusion d'informations

Les difficultés exprimées par les femmes enceintes travaillant dans la grande distribution sont la station debout prolongée, le piétinement, les postures conduisant à se baisser ou à s'étirer en hauteur, le port de charges et la manutention, le contact avec les clients, l'exposition au chaud, au froid, les horaires tardifs ou très tôt le matin, les pauses qui ne permettent pas de se reposer... Les femmes cadres ne sont pas épargnées : l'extensivité des horaires et les déplacements sont de vraies contraintes, dans un contexte de relative concurrence entre salariés pour poursuivre une évolution professionnelle satisfaisante.

Le soutien des collègues est bien sûr un facteur facilitant la conciliation de la grossesse et de l'activité professionnelle. Mais, en reportant la charge de travail sur les collègues, il peut être vécu comme source d'iniquité. Il ne peut donc reposer sur la seule bonne volonté des individus, au risque de générer des tensions au sein des collectifs de travail. Aussi, pour développer des pratiques favorisant le maintien au travail des femmes enceintes, les entreprises doivent-elles interroger leurs pratiques de management, leur organisation du travail, leur démarche de prévention et la qualité de leur dialogue social. Percevant l'intérêt de travailler la question d'un point de vue collectif, des entreprises ont développé dans ce sens des initiatives intéressantes et reproductibles.

Certaines d'entre elles diffusent en interne, via les encadrants, des informations relatives aux droits des femmes enceintes (autorisation d'absence pour examens médicaux, par exemple), aux risques professionnels encourus pendant la grossesse, ou encore au rôle du médecin du travail. Se crée alors une culture permettant d'échanger sur ces thèmes au sein de la direction, des instances représentatives du personnel et des équipes de travail. Le travail pendant la grossesse n'est plus l'affaire des seules femmes enceintes : un ensemble d'acteurs est mobilisé. Ce contexte est favorable à l'annonce de la grossesse à l'employeur, dans un climat de confiance. Des entretiens systématiques entre le manager et la femme enceinte présentent également un intérêt dès l'annonce officielle de la grossesse par la salariée, afin d'identifier le plus tôt possible les risques et les contraintes du poste de travail et d'envisager les aménagements à faire ou les changements temporaires d'affectation, en sollicitant le médecin du travail. Enfin, à la croisée des enjeux de prévention et d'égalité professionnelle, des échanges lors des réunions du CHSCT, trop rarement sollicité sur ces questions, s'avèrent profitables.

Caisse "légère" plutôt que rayon "lourd"

Souvent prévus par les conventions et accords égalité professionnelle dans des secteurs tels que la grande distribution, les aménagements de poste et d'horaires encouragent la réduction du temps de travail dans le froid (en charcuterie) ou dans le chaud (près des fours en boulangerie), ce qui se traduit par un changement d'affectation. Il est aussi possible de passer d'un rayon dit "lourd" (liquides, conserves...) à un poste moins sollicitant (caisse dédiée aux produits culturels, par exemple). Par ailleurs, quand l'activité s'y prête, le télétravail peut limiter la fatigue liée aux trajets.

Plusieurs niveaux d'action sont donc à encourager, qui combinent soutien managérial, aménagement des horaires, amélioration des conditions de travail et reclassement temporaire sur d'autres postes.

En savoir plus
  • Etat des lieux de la situation de travail des femmes enceintes et de ses spécificités dans la grande distribution rapport de l'Anact, l'Aract Hauts-de-France et l'Aract Nouvelle-Aquitaine, 2017. Téléchargeable sur www.anact.fr