Moins de violences morales mais intensité du travail toujours forte

par Marilyne Beque Thomas Coutrot Amélie Mauroux / 21 décembre 2017

L’intensité du travail, toujours élevée, est stable depuis 2013, révèlent les premiers résultats de l’enquête Conditions de travail et risques psychosociaux, que vient de publier la Dares. Et si les salariés perdent en autonomie, ils souffrent moins de violences morales.

Eclaircie bienvenue, entre 2013 et 2016, les violences morales au travail ont fortement reculé. Par ailleurs, après une reprise de l’intensification du travail entre 2005 et 2013, on observe une stabilisation, à un niveau toutefois élevé. En revanche, les normes et les procédures qui encadrent le travail continuent à se renforcer et l’autonomie à se réduire, surtout pour les catégories les moins qualifiées. Tels sont les principaux enseignements de l’enquête Conditions de travail et risques psychosociaux de 2016 (voir encadré), qui s’inscrit dans la continuité des enquêtes sur les conditions de travail menées depuis 1978 et dont la direction de l’Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares) du ministère du Travail vient de publier les premiers résultats.

Contraintes de rythme accrues pour les ouvriers non qualifiés

Plus précisément, après une période d’augmentation, l’exposition aux contraintes de rythme sur le travail se stabilise. En 2016 comme en 2013, 35 % des salariés subissent au moins trois contraintes de ce type parmi celles prises en compte, allant du déplacementautomatique d’une pièce au contrôle permanent exercé par la hiérarchie, en passant par la demande extérieure (de clients, de patients ou du public) obligeant à une réponse immédiate. Cependant, cette stabilisation n’est pas générale : la hausse se poursuit pour les ouvriers non qualifiés, déjà très exposés (46 %, soit + 3 points).

Le travail est de plus en plus normé. Ainsi, 48 % des salariés (+ 2 points par rapport à 2013) sont soumis à des normes de production à satisfaire en une journée et 46 % (+ 3 points) doivent suivre des procédures précises de qualité.

Les contraintes de vigilance continuent de s’accroître, 43 % des salariés (+ 4 points) déclarant ne pas pouvoir quitter leur travail des yeux. Le travail dans l’urgence augmente toujours (+ 1 point), mais seulement pour les femmes, qui sont 68 % (+ 3 points) à devoir fréquemment abandonner une tâche pour une autre plus urgente. Cet indicateur recule quelque peu pour les ouvriers. Dans le même temps, la pression temporelle ressentie se tasse légèrement : 45 % des salariés (– 1 point) disent en 2016 devoir toujours ou souvent se dépêcher.

Parmi les salariés, 44 % signalent devoir penser à trop de choses à la fois, soit 5 points de moins qu’en 2013. Ce recul de la charge mentale s’observe pour toutes les catégories de salariés, mais elle reste plus élevée pour les cadres (57 % doivent penser à trop de choses à la fois) et pour les femmes (47 %, contre 40 % des hommes). De même, le fait de travailler sous pression concerne 31 % des salariés, soit une baisse de 5 points entre 2013 et 2016, et plus encore chez les cadres (– 8 points).

Parallèlement à la montée des normes et standards, l’autonomie et les marges de manœuvre des salariés poursuivent le déclin entamé depuis 1998, et cela pour toutes les catégories socioprofessionnelles. Les salariés sont de moins en moins nombreux à choisir eux-mêmes la façon d’atteindre les objectifs définis et à ne pas avoir de délais ou à pouvoir faire varier les délais fixés.

Les salariés trouvent de plus en plus souvent leur travail répétitif : 43 % affirment répéter continuellement une même série de gestes ou d’opérations, contre 41 % en 2013 et 27 % en 2005. Les employés administratifs et les ouvriers y sont plus fréquemment exposés. C’est pour les ouvriers non qualifiés que la hausse est la plus significative, avec une augmentation de 6 points.

Stabilité des horaires atypiques

Les contraintes horaires sont stables, voire en légère amélioration. Les salariés sont un peu moins nombreux qu’en 2013 à ne pas disposer de 48 heures de repos par semaine, à ne pas connaître leurs horaires du mois à venir ou encore à ne pas pouvoir s’arranger avec leurs collègues. Peu de changement également pour les horaires de travail atypiques (travail du samedi, du dimanche ou de nuit). Les employés de commerce travaillent souvent le samedi (62 %) et le dimanche (45 %), mais le travail du dimanche a reculé de 2 points depuis 2013.

Le soutien des collègues se maintient à un niveau élevé. En 2016 comme en 2013, 80 % des salariés disent pouvoir compter sur l’aide de leurs collègues en cas de travail délicat et 90 % indiquent avoir la possibilité de coopérer pour effectuer correctement leur travail. Les données relatives aux tensions dans les rapports avec les collègues ou le supérieur hiérarchique se sont stabilisées, après une hausse entre 2005 et 2013.

Le sentiment de reconnaissance s’améliore. Parmi les salariés, 24 %, soit un taux en baisse de 5 points, estiment que leur travail n’est pas reconnu à sa juste valeur. Plus encore, les situations de violence morale, bien que demeurant encore très fréquentes, sont en recul. En 2016, 30 % des salariés, contre 37 % trois ans auparavant, disent avoir subi au cours des douze derniers mois un comportement hostile dans leur travail (être la cible de propos blessants, être ridiculisé en public ou ignoré, voir son travail injustement critiqué ou saboté, devoir effectuer des tâches inutiles ou dégradantes, subir des propositions à caractère sexuel, etc.).

C’est dans les établissements de taille moyenne ou importante que ce recul est le plus marqué : la part des salariés se déclarant victimes de comportements hostiles au travail y a chuté de 10 points. Cela pourrait s’expliquer par une plus grande sensibilisation des encadrants aux risques psychosociaux (RPS), par des efforts de prévention et par les campagnes d’information générale.

Toutefois, n’ont bénéficié de cette accalmie ni les salariés intérimaires ou à temps partiel subi, ni les salariés agricoles, de la fabrication d’équipements électriques, électroniques et informatiques, de machines ou de matériels de transport. A contrario, les comportements hostiles sont en forte baisse dans le commerce et les transports, dans le secteur des activités scientifiques ainsi que dans l’administration publique.

Le contact avec le public, qui concerne trois salariés sur quatre, engendre souvent de l’intensité émotionnelle : 46 % des salariés indiquent qu’ils côtoient des personnes en situation de détresse et 54 % assurent devoir calmer des gens, ces taux étant en légère hausse par rapport à 2013. La proportion de salariés disant vivre des tensions avec le public demeure quasi stable. De même, comme en 2013, 10 % des salariés estiment devoir toujours ou souvent faire des choses qu’ils désapprouvent. Cependant, les salariés signalent moins fréquemment devoir cacher leurs émotions (25 %, soit – 6 points).

En 2016, les expositions aux contraintes et risques physiques demeurent inchangées pour toutes les catégories socioprofessionnelles, les ouvriers restant les plus exposés. Parmi les salariés, 34 % sont toujours soumis à au moins trois contraintes physiques ; 18 % souffrent d’un bruit intense qui les gêne pour entendre une personne située à 3 mètres. Enfin, 29 % des salariés (– 2 points) déclarent être en contact avec des produits dangereux. Cela concerne peu de cadres (13 %), mais 54 % des ouvriers non qualifiés (+ 3 points).

Les bénéfices d’une mobilisation contre les RPS ?

Les évolutions des conditions de travail doivent être mises en rapport avec les pratiques des entreprises. D’une part, les changements organisationnels ont marqué le pas entre 2013 et 2016 : la part des salariés ayant connu au cours des douze derniers mois au moins un changement important de leur environnement de travail a reculé, passant de 43 % à 41 %. Une certaine stabilisation des organisations s’accompagne en général d’un ralentissement de l’intensification du travail et d’une réduction des marges de manœuvre des salariés. La moindre violence morale peut être mise en rapport avec cette pause relative dans les réorganisations, car les comportements hostiles sont fortement associés aux changements organisationnels. Mais l’ampleur du recul (– 7 points) porte à croire qu’il ne peut s’agir de la seule cause. On peut penser que la mobilisation de l’opinion publique, des pouvoirs publics et des partenaires sociaux sur les thèmes des RPS et du harcèlement moral – avec notamment le troisième plan santé au travail lancé en 2015 et l’accord national interprofessionnel sur la qualité de vie au travail ratifié en 2013 – ont contribué à cette accalmie, même si les tendances à l’intensification et à la standardisation du travail n’ont pas encore été inversées.

Cet article sera publié dans le numéro de janvier 2018 (n° 101) de Santé & Travail.

  • « Quelles sont les évolutions récentes des conditions de travail et des risques psychosociaux ? », par Marilyne Beque et Amélie Mauroux, Dares Analyses n° 82, décembre 2017.