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On a toujours besoin d'un CHSCT

par François Desriaux / avril 2015

Pour une fois, la décision de notre comité de rédaction a été unanime. Face aux menaces pesant sur le devenir du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) après la négociation sur la modernisation du dialogue social et avant la future loi sur ce thème, notre magazine a jugé nécessaire d'intervenir dans le débat.

L'enjeu est fort. Le risque existe que le texte qui sortira du Parlement amoindrisse sérieusement la capacité des représentants du personnel à jouer pleinement leur rôle dans l'amélioration des conditions de travail et la prévention des risques professionnels.

De la même façon que la rationalisation des tâches dans les entreprises et les administrations appauvrit le travail, nous craignons que la rationalisation du dialogue social n'appauvrisse celui-ci. Précisément sur les questions du travail, de son contenu et de son organisation. Au-delà des considérations matérielles - nombre d'élus et d'heures de délégation, capacités judiciaires et d'expertise - qui polariseront le débat, nous avons tenu à démontrer ici que la complexité du sujet "santé au travail" et la nécessité d'adapter la prévention au travail réel justifient à elles seules le maintien d'un lieu de dialogue social spécifique.

On a toujours besoin d'un CHSCT : les éléments à retenir

avril 2015

Pourquoi il faut un CHSCT

  • Les questions de santé au travail sont un enjeu majeur de santé publique. Les atteintes psychiques et physiques liées au travail (troubles musculo-squelettiques, cancers, mal-être et dépressions) nécessitent de mettre en débat ce dernier, pour trouver des solutions de prévention.
  • Pour autant, ces questions sont complexes et difficiles à appréhender. Les contraintes auxquelles les salariés sont exposés, la façon dont ils s'en arrangent, ce que ça leur coûte ou les risques qui en découlent, tout cela reste invisible sans une étude au plus près du terrain, qui demande du temps, une formation et des compétences spécifiques.
  • Par ailleurs, les problèmes de santé au travail comme les solutions à y apporter mettent en jeu des approches diverses, entre les salariés, leurs représentants, les employeurs ou d'autres acteurs extérieurs, comme le médecin du travail. Leur prise en charge peut être l'objet de conflits, entre priorités économiques et enjeux de santé. Il faut donc un lieu pour en débattre.
  • Créé en 1982 pour permettre une prise en compte des conditions de travail en amont des projets de transformation des entreprises, le CHSCT permet à la fois l'enquête et le débat contradictoire et pluridisciplinaire nécessaires sur le travail et son organisation. La jurisprudence atteste qu'il est la seule instance à pouvoir garantir la prise en compte de ces questions, de par ses prérogatives, sa capacité à ester en justice, sans oublier son droit à l'expertise.
  • Dans la plupart des pays d'Europe, il existe une représentation du personnel dédiée à la santé-sécurité au travail, sous des formes différentes. Une représentation spécifique reconnue comme un atout pour la prévention. Dans les pays où elle n'est pas prévue, les conditions de travail tendent à être considérées comme un sujet technique ne méritant pas un débat social. La disparition du CHSCT présente donc le risque de reléguer la santé au travail parmi les points annexes du dialogue social.

Réformer le dialogue social

  • Les conditions de travail font partie des sujets prioritaires négociés en entreprise. Pour autant, un débat constructif en la matière est-il possible ? Lors des récentes négociations sur la modernisation du dialogue social, les rigidités et coûts induits pour les employeurs par les instances représentatives du personnel (IRP) ont été mis en avant. La solution proposée, la fusion des IRP (comité d'entreprise, CHSCT et délégués du personnel), est censée simplifier le dispositif mais pose question.
  • La logique gestionnaire qui la sous-tend fait peu de cas des difficultés des élus du personnel dans l'exercice de leur mission. Or ces derniers sont tentés de rentrer dans des stratégies défensives du fait de ces difficultés. Celles-ci peuvent concerner l'accès à une formation ou des moyens adaptés à la complexité des sujets qu'ils ont à traiter : plans sociaux, risques psychosociaux... Mais elles relèvent surtout d'une intensification de leur travail, due à l'accélération du rythme des changements sur lesquels ils doivent se prononcer et à l'articulation de plus en plus difficile entre les activités professionnelle et syndicale.
  • Par ailleurs, les changements organisationnels ont un impact sur les emplois et les conditions de travail. Les préserver passe par une plus grande coordination des IRP, dans une démarche qui garantisse que toutes les questions soient prises en compte. A ce titre, la fusion des IRP, dans un contexte de crise, fait craindre que les questions d'emploi ne l'emportent sur les autres.
  • De nombreux salariés sont privés de représentants du personnel, notamment dans les TPE-PME. Pour y remédier, certains pays européens, comme la Suède ou l'Espagne, ont mis en place des modes de représentation territoriaux, qui n'existent pas en France.
  • Jeter les bases d'un dialogue social plus équilibré et plus efficace supposerait de partir de ces obstacles à une prise en compte de la parole des salariés sur leurs conditions de travail et de faciliter le rôle des représentants du personnel.

Un enjeu économique

  • Si la prise en compte des conditions de travail par les entreprises constitue un enjeu de santé publique, il est moins souvent dit qu'elle représente aussi un enjeu économique. Pourtant, le dialogue social, notamment sur les questions de santé au travail, peut être porteur d'une meilleure performance pour les entreprises. Les représentants du personnel, dont ceux du CHSCT, peuvent en effet éclairer leurs décisions, leur éviter de faire des choix d'investissement néfastes socialement comme économiquement, en apportant un point de vue spécifique, élaboré au plus près de l'activité réelle, avec les salariés. Ces derniers ont un savoir empirique tout aussi légitime que celui des directions pour estimer les conséquences de choix organisationnels sur leur santé, mais aussi sur la qualité de la production ou la satisfaction du client.
  • Suivant cette logique, la caisse régionale du Crédit agricole de l'Anjou et du Maine a décidé d'accorder des moyens supplémentaires au CHSCT et d'associer plus étroitement les élus du personnel à l'élaboration des projets d'aménagement de ses agences. La mise en place d'une commission dédiée permet d'anticiper les écueils des schémas d'aménagement concernant les conditions de travail des salariés mais aussi l'accueil de la clientèle.
  • Par ailleurs, les coûts indirects induits par les effets de mauvaises conditions de travail sur la santé des salariés, par exemple un turn-over ou un absentéisme plus importants, incitent les entreprises à se préoccuper de la qualité de vie au travail de leurs employés et à en faire un objectif stratégique.
  • Enfin, l'absence d'une instance représentative dédiée aux questions du travail et en mesure d'engager une action préventive collective vis-à-vis de ses effets délétères sur la santé peut avoir d'autres conséquences économiques. Les salariés victimes d'atteintes à la santé peuvent se retourner contre leur employeur et demander réparation, ce qui peut lui coûter très cher...