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Pour les travailleurs uberisés, le salut n'est pas dans le statut

par Frédéric Lavignette / octobre 2017

Selon un récent rapport, la situation en matière de protection et de droits sociaux des travailleurs des plates-formes numériques est préoccupante. Mais la création d'un statut intermédiaire entre indépendance et salariat n'est pas la solution.

Les manifestations de chauffeurs d'Uber ou de coursiers Deliveroo en témoignent : les nouveaux emplois générés par les plates-formes numériques font débat en matière de droit du travail et de protection sociale. Ces deux questions sont abordées dans un récent rapport1 rendu par la direction de l'Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares), du ministère du Travail, visant à préciser les politiques publiques qui pourraient être menées sur le sujet. Selon ce document, le panorama des plates-formes est tout d'abord hétérogène. Toutes n'ont pas vocation à générer du chiffre d'affaires ou à vendre un service. Les données les concernant sont ainsi difficiles à agréger, car elles ne portent pas sur les mêmes types d'activité. Selon une étude datée de 2015, réalisée par la direction générale des Entreprises (DGE), cette "nouvelle économie" fournirait plus de 50 % des revenus pour près de 5,2 % des Français et 12 % des 25-34 ans.

Dans cette nébuleuse, les plates-formes à but lucratif, autrement dit celles "jouant un rôle de tiers actif entre offreurs et demandeurs d'un bien ou d'un service", comme les définit le rapport, ont un statut à part. Leur système repose sur une externalisation de la production et des risques auprès de travailleurs, auxquels sont imposées des normes et règles quant à l'exécution du travail. Qu'ils soient indépendants à plein temps ou pluriactifs, ces travailleurs subissent ainsi des contraintes proches de celles du salariat sans bénéficier des droits associés.

Prise en charge réduite

Le collaborateur de la plate-forme supporte les risques matériels, physiques et moraux liés à son activité (financement de son outil de travail, incertitude quant à ses revenus...) et ne bénéficie pas d'un cadre réglementé comme pour le salariat : pas de durée de travail, ni de "salaire" de base, puisque sa rémunération dépend des sollicitations de clients via la plate-forme. Mieux il sera noté par eux, plus il pourra travailler afin de vivre décemment. Certaines protections accordées aux salariés ne s'appliquent pas non plus, contre le harcèlement, la discrimination ou la rupture abusive de la relation contractuelle.

De même, ces collaborateurs disposent uniquement de la couverture sociale des indépendants. En cas d'accident du travail ou de maladie d'origine professionnelle, la prise en charge est réduite et la plate-forme n'est pas responsable, alors qu'elle dicte les conditions de travail. En cas d'arrêt maladie, la perte de ressources n'est pas non plus réellement compensée, alors que ces dernières sont déjà loin de constituer un revenu décent.

Face à ces constats, la création d'un statut intermédiaire entre celui des indépendants et celui des salariés, avec une protection sociale renforcée, est envisagée. Mais cette perspective est jugée contre-productive par l'auteur du rapport. Ce troisième statut risquerait en effet de "remplacer une frontière floue par deux délimitations qui auraient également chacune leur part d'incertitude". Il "risquerait aussi de favoriser la requalification abusive de travail salarié en travail indépendant".

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    "L'économie des plateformes : enjeux pour la croissance, le travail, l'emploi et les politiques publiques", par Olivia Montel, Document d'études n° 213, août 2017.