Prévention : la future instance unique au régime sec

par Rozenn Le Saint / 29 septembre 2017

Le futur comité social et économique suscite des craintes quant à sa capacité à traiter des questions de santé et conditions de travail. Moins de représentants du personnel, un flou sur leur formation et un recours à l’expertise entravé transparaissent dans les ordonnances.

Moins d'expertise, moins de moyens, pour moins de prévention des risques professionnels. C'est la triste équation, calculée par les experts de la santé au travail, qui résulte des ordonnances visant à réformer le Code du travail. Même si le nombre des représentants du personnel – estimé à 600 000 en 2011 par la Dares – et celui des heures de délégation seront précisés dans les décrets, leur réduction est attendue. Alors, en plus d'être moins spécialisés, puisque les délégués du personnel (DP), représentants au comité d'entreprise (CE) et ceux du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) deviendront des représentants généralistes de la future instance unique baptisée « comité social et économique » (CSE), les élus auront moins de temps à consacrer aux prérogatives qui leur incomberont.

« Un ersatz de CHSCT »

« Le risque, c'est que les réclamations soient très éloignées de la réalité du terrain, anticipe Nicolas Bouhdjar, coprésident de l’Association des experts agréés et intervenants auprès des CHSCT. Les élus auront moins de temps pour travailler, alors qu’ils couvriront un champ d’action plus large. Ces représentants généralistes seront moins en mesure d'alerter sur des dangers graves et imminents, par exemple. » Car seules les entreprises de plus de 300 salariés, celles dites « à risque » ou celles dont la demande à l'Inspection du travail aura été acceptée pourront mettre en place une commission spécialisée santé, sécurité et conditions de travail. « Un ersatz de CHSCT qui provoque une inégalité entre les salariés qui en auront et ceux qui n'en auront pas », regrette Nicolas Bouhdjar.

Dans une analyse écrite des ordonnances, rendue publique le 11 septembre, l’association des experts agréés CHSCT estime qu’on est loin d’une « simplification à prérogatives constantes ». « Le nouveau “comité social et économique” perdrait au passage certaines des attributions des instances qu’il remplacerait. Ainsi, s’il a bien pour mission l’“analyse des risques professionnels”, comme le CHSCT actuel, il serait privé de l’analyse des “conditions de travail”, des “facteurs de pénibilité”, et de sa contribution “à la prévention et à la protection de la santé physique et mentale” des travailleurs », peut-on lire dans le document des experts.

Quid des doléances des DP ?

Dans ces conditions, François Cochet, du cabinet Secafi, craint que « les doléances rapportées par les DP n’embolisent la future instance unique, à moins qu’un dispositif équivalent ne soit maintenu par accord d'entreprise ». Pire, « les questions des DP pourraient ne plus être traitées, ce qui aboutirait à des conséquences potentiellement graves concernant la santé des travailleurs et une judiciarisation au sein de l'entreprise au détriment du dialogue social », présume-t-il.

Si la formation en santé et sécurité sera bien à la charge de l'employeur, les ordonnances restent floues quant à ceux qui en bénéficieront. La question reste en suspens : tous les membres y auront-ils droit (ce qui permettrait à ces élus généralistes de mieux appréhender les questions pointues concernant la santé au travail) ou seulement ceux des grandes entreprises et cas exceptionnels siégeant dans une commission santé, sécurité et conditions de travail ?

Un cofinancement vecteur d'inégalités

Par ailleurs, le patronat réclamait que le coût des expertises CHSCT soit assumé par les instances représentatives du personnel, plutôt que par les employeurs. Les ordonnances prévoient que ces derniers ne prendront en charge intégralement que les expertises déclenchées pour risque grave. La future instance unique devra assumer 20 % du coût des expertises déclenchées en cas de modification importante des conditions de travail.

De quoi inquiéter les associations représentant les cabinets d'expertise, qui craignent une double injustice. D'une part, estime François Cochet, « plus de la moitié des futures structures n'auront pas les moyens d'y avoir recours. Selon les chiffres de la direction générale du Travail, 62 % des expertises CHSCT sont commandées par des entreprises de moins de 500 salariés et ce sont celles qui ont le moins de budget de fonctionnement ». Car la nouvelle instance devra puiser dans sa subvention de fonctionnement équivalant à 0,2 % de la masse salariale brute, ce qui désavantage les petites entreprises, mais aussi celles dont la masse salariale est faible. Ce qui provoque, d'autre part, une inégalité entre les salariés. « Pas de droits pour les petits salaires »,résume François Cochet. D'où une iniquité des travailleurs face aux risques professionnels.