Propositions parlementaires pour les victimes du travail
La commission d’enquête parlementaire sur les maladies professionnelles dans l’industrie a rendu son rapport en juillet. Celui-ci énumère une quarantaine de mesures pour améliorer prévention et réparation, reçues diversement par les acteurs concernés.
Six mois de travail, vingt-trois auditions, trois déplacements dans des bassins industriels, un rapport de 150 pages : de février à juillet 2018, la commission d’enquête parlementaire sur les maladies professionnelles n’a pas chômé. Lancée par le groupe communiste à l’Assemblée nationale, cette commission – pilotée par Pierre Dharréville, député PCF des Bouches-du-Rhône, et Julien Borowczyk, député La République en marche (LREM) de la Loire, respectivement rapporteur et président – répondait aux préoccupations d’élus face à la persistance de pathologies professionnelles dans leurs circonscriptions. Avec une motivation supplémentaire pour Pierre Dharréville : « Le recul du droit produit par la loi Travail et les ordonnances. »
L’enquête s’est concentrée sur le secteur de l’industrie, car il est le plus concerné : 73 % des 50 000 maladies professionnelles reconnues chaque année le sont parmi les ouvriers. Le rapport est parti de deux constats : les maladies professionnelles (MP) ne sont pas assez prévenues ; elles sont aussi sous-reconnues et sous-estimées. « Faire reconnaître une MP relève d’un parcours du combattant », résume Pierre Dharréville. Selon ce dernier, les salariés « craignent de perdre leur emploi » et subissent des « pressions » de leur hiérarchie pour ne pas procéder aux déclarations. Ils méconnaissent aussi leurs droits à réparation et affrontent des procédures complexes et décourageantes.
43 propositions en 4 axes
Pour améliorer prévention et indemnisation, le rapport liste quarante-trois propositions, agencées en quatre axes : accroître la traçabilité des expositions, grâce notamment à un dossier médical personnel de santé au travail ; renforcer l’imputabilité des risques, en faisant par exemple du donneur d’ordres le responsable de l’environnement de travail vis-à-vis des salariés sous-traitants et intérimaires présents dans ses établissements ; mieux relier réparation et prévention, en exigeant que la reconnaissance d’une maladie professionnelle débouche sur un assainissement du poste de travail mis en cause ; créer enfin un service public de prévention des risques professionnels.
« Le rapport met bien en évidence les difficultés, avec ce système de reconnaissance et d’indemnisation des maladies professionnelles qui n’a globalement pas évolué depuis 1898, et ses procédures trop complexes pour les victimes », apprécie Arnaud de Broca, secrétaire général de la Fnath (Association des accidentés de la vie). Mais il regrette que « les propositions, essentiellement orientées sur la prévention, ne soient pas plus ambitieuses dans le domaine de l’indemnisation ». A l’exception de deux : le renversement de la charge de la preuve de l’origine professionnelle pour certaines affections psychiques et l’abaissement à 10 % ou la suppression du taux minimal d’incapacité permanente nécessaire à la reconnaissance de ces pathologies. La Fnath rejette en revanche la proposition d’affecter les excédents de la branche risques professionnels de l’assurance maladie au financement d’actions de prévention. Il convient d’abord « d’améliorer la prise en charge des victimes du travail qui subissent les dommages corporels les moins bien indemnisés », juge Arnaud de Broca.
Améliorer la formation des acteurs
Le Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle en Seine-Saint-Denis (Giscop 93) a lui aussi a apprécié le rapport. « Ce qui nous semble essentiel dans les propositions, souligne Emilie Counil, épidémiologiste et chercheure associée au Giscop 93, c’est l’amélioration de la formation des acteurs intervenant pour la santé au travail. » Notamment l’inclusion des pathologies professionnelles dans la formation initiale des médecins généralistes et spécialistes. Autres mesures positives, selon Emilie Counil : « L’amélioration de l’information du salarié, avec l’obligation de lui transmettre la fiche de risques établie pour chaque poste, et le dossier médical professionnel, qui permettrait une traçabilité et une transmission du médecin du travail vers le généraliste. » A condition, précise l’épidémiologiste, que le salarié reste « maître de la transmission d’informations, afin que le dossier ne devienne pas un outil de sélection aux mains de l’employeur ! »
Elle juge également cruciale la réactivation de l’obligation faite à tout médecin de signaler à l’agence Santé publique France toute maladie pouvant avoir un caractère professionnel : « Faute de temps et de formation, les généralistes sont plus axés sur le soin que sur l’étiologie de la maladie. Si l’obligation était respectée, cela pourrait devenir une source d’informations essentielle pour la surveillance épidémiologique. » Le Giscop 93 regrette que le rapport n’aborde ni le manque de moyens de l’Inspection du travail ni les dysfonctionnements du système complémentaire de reconnaissances des maladies professionnelles. Alors que celui-ci « rallonge les procédures, ce qui est grave pour des pathologies à pronostic vital », déplore Emilie Counil.
Identifier les entreprises à risque
Marc Andéol est d’un avis plus tranché. Coordinateur de l’Association médicale pour la prise en charge des maladies éliminables (APCME), créée par des généralistes face à la gravité des atteintes à la santé des travailleurs de Fos-sur-Mer, il s’avoue déçu par les propositions de la commission, jugées « trop éloignées du concret ». « Tout ce qui est nécessaire à la prévention – connaissances, données, dispositions réglementaires – existe déjà, la question est de savoir comment l’utiliser pour remédier aux situations de travail ayant causé des maladies », explique-t-il. En vue de sortir du statu quo et identifier les entreprises à risque, il plaide pour la création d’« un cadastre public des situations ayant causé des maladies graves et irréversibles, afin que chacun accède à cette information ». Un dispositif mis en place par l’APCME à Fos-sur-Mer depuis 2001 : « Nous avons ainsi établi que la cokerie a produit en dix-sept ans 39 cas de cancers reconnus et indemnisés en maladie professionnelle. »
Du côté syndical, Catherine Pinchaut, secrétaire nationale CFDT en charge de la santé au travail, souligne une autre « lacune criante » dans le rapport : la non prise en compte du rôle « du dialogue social et des partenaires sociaux pour la prévention des maladies professionnelles ». « La contrainte ne marche pas, cela transparaît dans tout le rapport, argumente-t-elle. Les employeurs sont responsables de la santé des salariés mais ne font pas tout ce qui est prévu à cet effet. Il faut donc trouver d’autres voies pour faire avancer la prévention, et celle du dialogue social est à privilégier. » Une problématique qui sera évoquée lors de la concertation à venir entre le gouvernement et partenaires sociaux. Pour sa part, Pierre Dharréville entend multiplier les initiatives législatives, afin de donner une suite au rapport et un nouvel élan à la prévention des maladies professionnelles.