Revenir à l'équilibre
Sans grande surprise, la santé au travail n'a été traitée qu'à la marge lors de la grande conférence sociale de juillet. Et, en cette rentrée morose, les chiffres catastrophiques du chômage et les perspectives économiques particulièrement sombres ont imposé un tempo et un seul : la mobilisation pour l'emploi. Les conditions de travail attendront.
Mais surtout, le gouvernement et le président de la République ont souhaité donner la priorité à la négociation entre les partenaires sociaux, y compris sur les questions de santé et de conditions de travail. La balle est donc dans le camp des syndicats et du patronat sur les différents chantiers ouverts dans le domaine de la santé au travail, qu'il s'agisse de sa gouvernance, de la qualité de vie au travail, du fonctionnement des institutions représentatives du personnel (donc des CHSCT). Si l'on peut se féliciter de cette volonté politique d'amener le dialogue social à un niveau digne d'une grande démocratie et de jeter les bases d'un nouveau modèle social, où tout ne passerait pas par la loi et le règlement, on ne peut s'empêcher de relever deux écueils de taille à cette démarche. Le premier est spécifique à la santé au travail. Les pouvoirs publics ne peuvent sur ce sujet se contenter de jouer les greffiers de séance. C'est un domaine partagé, où l'Etat, garant de la santé publique, garde des prérogatives régaliennes et peut être condamné s'il tarde à prendre des mesures. Un dialogue tripartite sur ces questions serait donc plus judicieux et plus conforme à nos institutions. Le second est d'ordre historique : on ne passe pas, d'un coup de baguette électorale, d'une situation où patronat et syndicats ont l'habitude de quémander en permanence l'intervention du gouvernement au gré des alternances politiques à un pouvoir socialement décentralisé, où les partenaires sociaux disposent d'une réelle autonomie et d'une responsabilité plus forte. Encore plus après trente ans de désyndicalisation massive.
Le rapport de force social n'a jamais été autant déséquilibré qu'aujourd'hui et on peut se demander si une concertation sur les voies et moyens permettant de revenir à l'équilibre, de renforcer l'attractivité de la représentation collective, ne constituait pas un préalable indispensable à la revitalisation du dialogue social. Chez nos voisins allemands, le législateur ne doit s'abstenir d'intervenir sur les conditions de travail que si l'"autonomie collective" inscrite dans la loi fondamentale est en capacité de fonctionner. C'est-à-dire que si les organisations syndicales sont suffisamment puissantes vis-à-vis des organisations patronales. Nous sommes loin de cette exigence d'équilibre de ce côté-ci du Rhin.
Dans ce contexte, on peut donc émettre quelques doutes sur ce qui peut ressortir des concertations à venir et sur la capacité de la négociation interprofessionnelle à produire des avancées suffisantes pour remédier à la détérioration du travail et des conditions dans lesquelles il s'effectue. A tout le moins, un catalyseur politique n'aurait pas été superflu pour doper le dialogue social. Et, en ce trentième anniversaire des lois Auroux, le renouveau d'un droit d'expression des salariés, tombé en désuétude depuis, constituerait un beau projet pour la nouvelle majorité. Il n'est pas trop tard.