Santé au travail : la révolution Lecocq
Commandé par le gouvernement en janvier 2018, le rapport sur la santé au travail de la députée LREM du Nord Charlotte Lecocq devrait être rendu public le 28 août prochain. Santé & Travail, qui a eu accès au document, vous dévoile les grandes lignes des changements majeurs proposés.
« France Santé Travail », c’est le patronyme que propose la députée La République en marche (LREM) du Nord Charlotte Lecocq pour l’organisme public qu’elle recommande de créer. Cet établissement réunirait « sous la même bannière » l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) et l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP). Ce scénario choc fait partie des changements majeurs retenus par la parlementaire dans son rapport de mission de 174 pages, que Santé & Travail a pu consulter. La mission pour améliorer l’efficacité de la prévention des risques professionnels avait été confiée à Charlotte Lecocq, ainsi qu’à Bruno Dupuis, consultant en management, et à Henri Forest, ancien médecin du travail et ex-secrétaire confédéral de la CFDT, par le Premier ministre et les ministres du Travail et de la Santé, le 22 janvier 2018. Leurs conclusions devraient être rendues publiques le 28 août prochain. Parmi les autres propositions qui risquent de faire débat à la rentrée : la création d’une structure régionale de droit privé regroupant les services de santé au travail interentreprises (SSTI) et les autres acteurs de la prévention et une refonte du mode de financement.
« La santé au travail n’est pas portée politiquement »
Sous le titre « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée », les rapporteurs insistent dans leurs constats sur la complexité du système actuel et la multiplicité des acteurs, ce qui « nuit à la compréhension et donc à l’utilisation optimale de l’offre » et « induit une complexité accrue de pilotage au détriment de l’efficacité sur le terrain », peut-on lire dans le document. « Pour les entreprises et leurs salariés, en particulier dans les TPE et PME, ce système n’est pas lisible. Cette catégorie d’entreprises ne le comprend pas et n’a pas en retour un service en termes de conseil de prévention à la hauteur des cotisations dont elles s’acquittent directement auprès des services de santé au travail, ni à la hauteur de leurs besoins. »
En outre, « la politique nationale en matière de santé au travail n’est pas visible parce qu’elle n’est pas portée politiquement de façon forte, interministérielle, dans la continuité et la durée », regrettent les auteurs. Alors même que « le troisième plan de santé au travail (PST3) est exemplaire dans sa genèse en termes d’exercice du dialogue social […] et dans ses objectifs ». Conclusion des rapporteurs : « L'enjeu, pour rendre notre système de santé au travail plus efficace, est donc de faire en sorte que les moyens aillent au bon endroit, au bon moment et en cohérence avec des objectifs et des priorités partagés. »
Le scénario qui en découle propose « une simplification du fonctionnement à la faveur d’un rassemblement au sein d’une entité unique de prévention ». Au niveau national, l’organisme public France Santé Travail, placé sous la tutelle des ministères du Travail et de la Santé, définirait les programmes de travail permettant de décliner les orientations du PST et contractualiserait, sur la base d’un cahier des charges national, avec des structures régionales.
Un guichet unique pour les entreprises
Ces dernières réuniraient les compétences des structures régionales du réseau Anact et de l’OPPBTP, les agents des caisses régionales d'assurance retraite et du travail (Carsat) affectés aux actions de prévention et les services de santé au travail interentreprises. Structures de droit privé ayant une mission d’intérêt général, elles sont pensées comme l’interlocuteur privilégié de proximité des entreprises et s’appuient sur des antennes locales. Elles abriteraient un système de guichet unique, afin d’« assurer à toutes les entreprises et à leurs travailleurs, sur chaque territoire, une offre de service certifiée, homogène, accessible et lisible ». Parallèlement, les Carsat et les directions régionales des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi (Direccte) devraient se recentrer sur leurs rôles respectifs d’assureur et de contrôle. En ce qui concerne les professionnels des SSTI, les auteurs estiment que « la nouvelle organisation, en clarifiant les missions de chacun dans un cadre unique […], doit être une opportunité […] de trouver plus de sens et d'efficacité collective, sans perdre leur identité ».
Côté financement, le rapport préconise une cotisation unique pour les employeurs : « Les contributions financières des entreprises pour les structures régionales de prévention et celles concernant l’OPPBTP pour les entreprises qui en relèvent, pourraient être regroupées avec celles des AT-MP au sein d’une cotisation unique “santé travail” directement recouvrée par les Urssaf. » Avec une modulation du montant sur une base mutualisée selon le risque spécifique de l’entreprise ou son engagement en matière de prévention. Les différentes ressources par ailleurs consacrées à la prévention (fonds de l’Etat, de la branche risques professionnels de l'assurance maladie, fonds issus des cotisations finançant des structures régionales de prévention…) seraient réunies dans un fonds national unique. La répartition des dotations sur l’ensemble du territoire pourrait être décidée par la structure nationale de prévention, et la gestion des fonds être assurée par l'assurance maladie.
Et pour piloter le système ? Au niveau de l’Etat, il s’agit de renforcer sa posture de stratège, qui « veille à la conception et au pilotage de la politique de santé au travail définie dans le plan santé travail et à son articulation avec la Stratégie nationale de santé et le Plan national santé environnement ». La structure nationale de prévention qui déclinerait cette politique, pilotée par ses ministères de tutelle, disposerait d’un conseil d’administration (CA) où siègeraient, à côté de l’Etat, les seuls partenaires sociaux. Les structures régionales quant à elles, pilotées par les Direccte, en lien avec les agences régionales de santé (ARS), auraient un CA paritaire où siègerait l’Etat. Il regrouperait les compétences des CA des différents organismes intégrés à la structure. Le Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct) et ses déclinaisons régionales conserveraient leur rôle d’instance consultative.
Doper l’effort financier pour la prévention
A l’appui de son scénario, la mission fait aussi seize recommandations. Parmi elles : accroître la visibilité du Plan santé travail, notamment en lui donnant une portée législative, en en faisant un volet opérationnel de la Stratégie nationale de santé ; doper l’effort financier en faveur de la prévention dans les entreprises avec les excédents de la branche risques professionnels ; mettre en place dans chaque structure régionale une cellule dédiée à la prise en charge des risques psychosociaux (RPS), intervenant à la demande ; simplifier l’évaluation des risques dans les entreprises, en la réduisant aux risques majeurs dans les plus petites et en la formalisant en un seul document…
L’ensemble de ces bouleversements proposés par la mission Lecocq déboucheront-ils sur une réforme d’ampleur ? On en saura sans doute plus le 28 août 2018, date à laquelle le Premier ministre devrait dévoiler les intentions du gouvernement. Mais il paraît évident que ces propositions seront au cœur des discussions prévues à la rentrée entre l’Etat et les partenaires sociaux.
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