Suicides : des postiers toujours en souffrance

par Rozenn Le Saint / janvier 2014

Commission du grand dialogue, accord sur la qualité de vie au travail... La Poste a pris des initiatives pour lutter contre la souffrance au travail de ses salariés. Mais de récents drames font douter de l'efficacité des mesures prises.

Le suicide d'un cadre au siège de La Poste en février 2013 avait "bien un lien fort" avec le travail, indique l'Inspection du travail dans un courrier, daté du 30 septembre, adressé au CHSCT. Un rapport réalisé par le cabinet d'expert Cateis, mandaté par le CHSCT après ce drame, avait déjà conclu que la prévention des risques psychosociaux n'était pas suffisante au siège. Pour Pascal Panozzo, responsable fédéral Sud PTT membre des CHSCT central et courrier, ces instances ne sont toujours pas assez considérées dans l'entreprise, quand elles ne sont pas montrées du doigt : "Les directions locales disent aux agents : regardez ce que nous coûtent les expertises demandées par le CHSCT... Pourtant, les résultats de ces études sont très parlants et s'ils étaient davantage pris en compte, il y aurait des chances que la souffrance au travail diminue." Car malgré la mise en place de mesures préconisées par Jean Kaspar en septembre 2012, à l'issue d'un grand dialogue, les salariés continuent à se suicider. En août, une salariée s'est donné la mort au centre de distribution du courrier de Langeac (Haute-Loire).

Le droit d'alerte utilisé 120 fois

Du grand dialogue est né, le 22 janvier 2013, l'accord sur la qualité de vie au travail (QVT), signé par la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC, FO et l'Unsa. Il instaure notamment un droit d'alerte face aux réorganisations au niveau local, qui a été utilisé à 120 reprises. Si la démarche n'aboutit pas, les syndicats peuvent faire remonter le problème à la DRH nationale : cela a été le cas 20 fois en 2013. Pour Pascal Panozzo, ce droit d'alerte syndical aurait tendance à court-circuiter celui des CHSCT : "Nous avons averti la direction, dans le cadre de la procédure de danger grave et imminent, du cas d'un agent qui avait été reclassé, puis à qui on avait retiré le poste pour y nommer quelqu'un d'autre. Il le vivait très mal, d'autant qu'il ne savait pas où il allait être affecté. Cela aurait dû suffire pour que la direction réagisse, or il a fallu exercer le droit d'alerte prévu par l'accord QVT pour que la DRH s'en préoccupe."

Même si l'entreprise s'est engagée à embaucher 15 000 personnes d'ici 2015, le solde des emplois reste négatif. "Projet par projet, quand on regarde le nombre de suppressions de postes proposé au début de la concertation et après, des changements sont opérés, se défend la DRH du groupe, Sylvie François. L'entreprise n'est pas gérée par les organisations syndicales, mais leur avis est pris en compte dans le contenu des projets et la gestion du changement." Une vision contestée par Aurore Taupin, de la CGT : "A chaque fois, on nous répond que la conduite du changement est respectée, mais c'est le changement en lui-même que nous dénonçons. Les agents sont surchargés du fait de l'augmentation de la productivité imposée, du manque d'effectifs dans certains services et de l'incertitude engendrée par la fermeture de centres de tri."

"Certains managers sont plus attentifs dans la conduite du changement, mais d'autres passent toujours en force, encore plus avec l'accroissement de la contrainte économique, nuance quant à lui Alain Barrault, secrétaire national de la fédération CFDT de La Poste. Certains directeurs territoriaux restent les yeux rivés sur les objectifs à atteindre et ne prennent pas en compte les injonctions données au niveau national." Une différence de management dans les structures décentralisées que la formation des responsables RH de proximité, prévue par l'accord QVT, est censée atténuer.