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L'information en santé au travail : mode d'emploi

par François Desriaux Stéphane Vincent / octobre 2016

Pour les représentants du personnel, à l'heure d'Internet, maîtriser l'information est encore plus crucial. Bien connaître les circuits d'information, être vite informé, pouvoir vérifier que tel renseignement n'est pas une rumeur : tout cela fait partie des savoir-faire que doivent développer les élus. Cela participe aussi de l'équilibre des rapports de force et de pouvoir dans l'entreprise. C'est donc une dimension stratégique du mandat syndical.

En matière de risques professionnels, le législateur a prévu que le CHSCT doit disposer d'une information de qualité, émanant de l'employeur et des professionnels de la santé au travail et de la prévention. La liste des documents à lui fournir ou des événements nécessitant de l'informer est longue. Bien connaître ce que l'on peut attendre des uns et des autres, comment on peut utiliser les éléments transmis et, à partir de ces derniers, engager le débat avec les salariés, telle est l'ambition de ce dossier.

En n'oubliant pas que le CHSCT produit lui aussi des informations. Et ce, à partir de sa connaissance du terrain, du travail réel, et donc des relations que les élus du personnel auront réussi à tisser avec les salariés.

Un exercice de transparence pour l'employeur

par Dominique Lanoë expert auprès des CHSCT / octobre 2016

Première source d'information sur les risques liés au travail, l'employeur doit répondre à de multiples obligations en la matière. Avec un enjeu de prévention concernant la qualité et la pertinence des données produites. Revue de détail.

Le CHSCT reçoit de l'employeur les informations qui lui sont nécessaires pour l'exercice de ses missions." En introduisant ce texte dans la loi de 1982 constitutive du CHSCT, le législateur a clairement exprimé sa volonté de confier à l'employeur une obligation d'élaborer une information de qualité dans le domaine de la santé au travail, et ce, en vue d'améliorer la prévention. Une question se posait pourtant : le CHSCT pouvait-il être considéré comme responsable de la gestion des risques dans l'entreprise, au même titre que l'employeur, dès lors qu'il disposait des données produites par ce dernier ? En 2001, la jurisprudence1 a tranché ce point par la négative. Elle rappelle par ailleurs que "les prérogatives du CHSCT impliquent le recours à une information autonome", tout en précisant que cette autonomie n'exonère pas l'employeur de son devoir d'information.

Les bornes sont donc bien identifiées ! L'employeur doit élaborer ses propres éléments d'information en santé au travail et les mettre à la disposition des représentants du personnel, notamment le CHSCT. Cette distinction dans les obligations respectives de l'employeur et du CHSCT présente un enjeu pour le premier. D'une part, en élaborant une information de qualité sur les risques professionnels, l'employeur se place dans une configuration où il peut procéder à des analyses pertinentes et choisir les dispositifs de prévention les mieux adaptés. D'autre part, il ouvre la voie à un dialogue social plus efficace avec les représentants du personnel.

Un inventaire des risques

Quelles sont les informations de base que doit produire l'employeur ? Tout d'abord, celles provenant des données mêmes de l'entreprise. A ce titre, certains documents sont, ou du moins devraient être, particulièrement structurants. Le premier d'entre eux est le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUER), créé en 2002. Le Code du travail indique que l'opération d'évaluation consiste, pour l'employeur, à établir un "inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l'entreprise ou de l'établissement". Il est remis à jour chaque année par l'employeur, ou lors de la décision d'un aménagement important modifiant les conditions de travail, ou encore quand une information nouvelle concernant un risque est recueillie (art. R. 4121-2 du Code du travail). Ce document est non seulement mis à disposition du CHSCT et de l'ensemble des acteurs de prévention, mais aussi des travailleurs (art. R. 4121-4).

Le DUER se doit d'être exhaustif et d'intégrer les risques organisationnels et psychosociaux (circulaire n° 6 de la direction des Relations du travail du 18 avril 2002). Depuis sa mise en place, plusieurs réglementations sont venues compléter la liste des risques à identifier. Cela a été le cas pour ceux liés aux ambiances thermiques (décret n° 2008-1382 du 19 décembre 2008), mais aussi et surtout pour les facteurs de risque de pénibilité : manutention de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques, agents chimiques dangereux, travail en milieu hyperbare, températures extrêmes, bruit, travail de nuit, posté ou répétitif. Concernant ces facteurs de risque, l'employeur est d'ailleurs tenu de présenter en annexe du DUER les données collectives qui lui ont servi à les évaluer, ainsi que la proportion des salariés exposés (décret n° 2014-1158 du 9 octobre 2014). En présence d'un risque explosif, le contenu du document relatif à la protection contre les explosions (DRPCE) doit en outre être intégré au DUER.

D'autres éléments d'information spécifiques à certains risques, qu'ils figurent ou non dans le DUER, devraient logiquement être pris en compte dans son élaboration et doivent être transmis au CHSCT ou tenus à sa disposition. On peut citer tout d'abord les résultats des mesurages du bruit (art. R. 4433-4) et ceux des mesurages ou de l'évaluation des niveaux de vibration mécanique (art. R. 4444-4). Il faut y ajouter :

  • pour les rayonnements ionisants, les informations sur les risques d'exposition recensés par poste de travail (art. R. 4451-11) ; les mesures d'organisation prises pour les zones surveillées ou contrôlées (art. R. 4451-18 et suivants) ; enfin, les résultats des contrôles techniques (art. R. 4451-37) ;
  • pour les agents chimiques dangereux, cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques, les informations relatives aux activités et procédés concernés par leur utilisation, les quantités fabriquées ou utilisées, le nombre de travailleurs exposés, les mesures de prévention (art. R. 4412-86) ; les éléments ayant servi à l'évaluation des risques intégrée au DUER (art. R. 4412-64) ; les résultats des contrôles concernant le respect des valeurs limites d'exposition professionnelle (art. R. 4412-79) ;
  • en présence d'un risque biologique, les informations sur les résultats de l'évaluation, les activités, procédures et méthodes de travail en cause, le nombre de travailleurs exposés, le plan d'urgence prévu (art. R. 4425-4).

Rapport et programme annuels

Deux autres documents sont aussi structurants que le DUER en matière d'information : le rapport faisant un bilan de la situation générale de la santé, de la sécurité et des conditions de travail et le programme annuel de prévention des risques professionnels. L'objectif du premier est de renseigner le CHSCT sur les données sociales de l'entreprise, les accidents du travail et maladies professionnelles, les modes d'organisation du travail, et de faire le point sur les actions de prévention menées au cours de l'année écoulée (art. L. 4612-16). Le programme annuel fixe, quant à lui, la liste détaillée des mesures devant être prises au cours de l'année à venir, leurs conditions d'exécution, l'estimation de leur coût.

Repère

Des dispositifs spécifiques à certains secteurs sont prévus en matière d'information sur les risques professionnels et leur prévention. C'est le cas pour les installations nucléaires de base (art. L. 4521-1 à L. 4526-1 du Code du travail), le secteur du bâtiment et du génie civil (art. L. 4531-1 à L. 4535-1), les installations présentant des risques pour l'environnement (art. L. 4612-15 et R. 236-10-1).

Le contenu de l'un et de l'autre renvoie bien entendu aux risques identifiés dans le DUER. Mais leur élaboration par l'employeur repose parfois sur une approche quantitative chiffrée. Bien qu'utile, elle mérite souvent d'être complétée par des appréciations ou des analyses qualitatives. Par exemple, la communication de chiffres d'absentéisme ne prend sens que s'ils sont mis en relation avec d'autres éléments ayant trait aux conditions de travail.

Informations ponctuelles

En dehors de ces documents renouvelés périodiquement, l'employeur est également redevable d'informations plus ponctuelles, relatives à certains événements. Ainsi, lorsqu'un accident survient sur le lieu de travail, ou un incident à partir du moment où celui-ci est susceptible de donner lieu à une enquête, l'employeur doit en avertir dans les plus brefs délais le CHSCT. Cette obligation est déclinée de manière spécifique pour certains risques : concernant les rayonnements ionisants, en cas de non-conformité des installations susceptible d'entraîner des expositions au-delà des valeurs limites (art. R. 4451-36) ou en cas de dépassement de ces dernières (art. R. 4451-77) ; en cas d'accident ou d'incident ayant pu entraîner la dissémination d'un agent biologique pouvant provoquer une infection ou une maladie grave (art. R. 4425-2).

Lorsque l'employeur reçoit des observations ou mises en demeure de l'inspecteur du travail, ou des injonctions des agents de prévention des organismes de sécurité sociale concernant les conditions de travail, la sécurité, l'hygiène et tout ce qui relève des missions du CHSCT, il doit en informer ce dernier.

Quelle base de données sociales pour le CHSCT ?

Depuis le 1er janvier 2016, la base de données économiques et sociales (BDES) doit comporter les "informations récurrentes destinées au CHSCT". Créée par la loi du 14 juin 2013 sur la sécurisation de l'emploi, cette base de données alimentée par l'employeur était à l'origine conçue comme un support à la consultation du comité d'entreprise (CE) sur les orientations stratégiques de l'entreprise. La question pendante étant de savoir quelles sont les informations récurrentes délivrées au CHSCT.

De toute évidence, le document unique d'évaluation des risques (DUER), le rapport sur la situation générale de la santé, de la sécurité et des conditions de travail et le programme annuel de prévention en font partie. Mais on pourrait aussi considérer que les informations sur la situation générale du temps de travail, notamment concernant les conventions de forfait ou le volume des heures supplémentaires, devraient être intégrées dans la BDES, en vertu des prérogatives du CHSCT sur ces questions. De même, devraient figurer dans la BDES tous les documents relatifs aux risques présents dans l'entreprise ou aux équipements de travail et de protection, et en particulier les rapports de vérification, les audits et contrôles réalisés de manière périodique par des organismes certifiés ou accrédités sur ces sujets.

Dans le cadre des consultations du CHSCT, notamment sur des projets de modification importante des conditions de travail, l'employeur est censé lui transmettre les documents d'information nécessaires au rendu d'un avis. Si le Code du travail ne décrit pas les documents en question, la jurisprudence a apporté des éléments de réponse. Ils doivent apporter une information suffisante, loyale et sincère, propre à faire naître une réflexion des représentants du personnel, afin qu'ils soient à même de rendre un avis éclairé.

Enfin, lors d'interventions d'entreprises extérieures, l'employeur doit tenir à la disposition du CHSCT les informations relatives à la durée et à l'identification des travaux, au nombre de salariés affectés (art. R. 4511-11), ainsi que le plan de prévention et le protocole de sécurité si ces documents sont nécessaires (art. R. 4514-2).

Registres, carnet...

A ces informations ponctuelles s'ajoutent diverses sources documentaires, que l'employeur doit tenir à jour et que le CHSCT peut consulter. C'est le cas de différents registres réglementaires : celui sur la sécurité des équipements de travail (art. R. 4323-25), celui spécialement dédié aux alertes pour danger grave et imminent (art. D. 4132-2) ou celui des accidents bénins prévu par le Code de la Sécurité sociale (art. L. 441-4), s'il existe. Il faut y ajouter le carnet de maintenance des équipements de travail (art. R. 4323-19), la documentation sur la réglementation applicable pour l'utilisation de ces équipements (art. R. 4323-1) et les consignes d'utilisation des équipements de protection individuelle (art. R. 4323-104). Dans une entreprise où un accord a été signé concernant le droit d'expression des salariés, les demandes, avis et propositions émanant des groupes de discussion mis en place doivent aussi être accessibles pour le CHSCT (art. L. 2281-11).

Comme on peut le constater, le type et la périodicité des informations sur la santé au travail que l'employeur doit produire ou transmettre sont multiples. Reste la question de leur qualité et de leur pertinence. Afin d'éviter un éventuel débat conflictuel, il peut être tentant pour un employeur de présenter des informations qui font consensus ou qui neutraliseront toute discussion sur la réalité de la vie dans l'entreprise en matière de santé au travail. C'est une mauvaise stratégie si l'enjeu pour l'employeur, au-delà de la stricte observance formelle de ses obligations, est bien d'améliorer la prévention des risques professionnels.

  • 1

    Arrêt n° 3098 de la chambre sociale de la Cour de cassation, 26 juin 2001.