Jean-Luc Raymondaud (à g.), Thomas Fatome (à dr.) - © Nathanaël Mergui/Mutualité française
Jean-Luc Raymondaud (à g.), Thomas Fatome (à dr.) - © Nathanaël Mergui/Mutualité française

Vers une meilleure reconnaissance des maladies professionnelles ?

par François Desriaux / juillet 2016

Thomas Fatome, directeur de la Sécurité sociale au ministère de la Santé, et Jean-Luc Raymondaud, représentant de la CFDT à la commission des pathologies professionnelles du Coct, s'opposent sur un décret qui modifie le dispositif de reconnaissance.

Le ministère de la Santé vient de publier un décret modifiant le fonctionnement des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (C2RMP) et la procédure de reconnaissance. Ce texte améliore-t-il le système de réparation ?

Thomas Fatome : C'est clairement l'objectif du texte, grâce à deux leviers. Le premier vise à simplifier les démarches de l'assuré. La victime gardera l'initiative de la demande, mais les deux formulaires qu'elle devait jusqu'ici fournir - la déclaration de maladie professionnelle et le certificat médical - seront fusionnés. De plus, le délai d'instruction par la caisse primaire d'assurance maladie ne courra qu'une fois reçu le résultat des examens médicaux exigés par les tableaux de maladies professionnelles. Cela évitera des refus de prise en charge pour non-transmission par l'assuré dans les délais impartis.

Le second levier vise à réduire les délais d'examen par les C2RMP, qui reçoivent un nombre croissant de dossiers. L'action des comités sera recentrée sur les cas les plus complexes, pour lesquels il n'existe pas de tableaux de maladies professionnelles, comme les pathologies psychiques. Les dossiers les plus simples, lorsque les conditions du tableau ne sont pas remplies, pourront être examinés par deux médecins au lieu de trois, sauf désaccord entre eux. Les droits des assurés sont ainsi préservés et le bon fonctionnement de la voie complémentaire garanti.

Jean-Luc Raymondaud : Contrairement à son intitulé, ce décret ne concerne pas uniquement le fonctionnement des C2RMP et les psychopathologies. C'est l'ensemble du système de reconnaissance qui est impacté. Personne ne met en doute les difficultés des caisses à instruire les dossiers dans les temps prévus réglementairement. Mais plutôt que d'accorder aux agents enquêteurs les moyens de faire correctement leur travail, vous donnez à la caisse des marges de manoeuvre supplémentaires pour respecter la réglementation, et ce, au détriment des victimes en leur compliquant la tâche pour faire valoir leurs droits. C'est le sens de la mesure qui consiste à ne faire courir le délai d'instruction par la caisse qu'à compter du moment où le dossier est complet. Si nous ne voulons pas que les délais s'allongent indéfiniment, cette disposition nouvelle doit être assortie d'une condition : que la caisse communique à la victime, sous quinze jours à réception de la déclaration, la liste des documents à fournir.

Quant à la fusion du document médical et du document administratif de déclaration, nous n'y sommes pas favorables, car, d'expérience, nous savons que pas mal de médecins sont attachés à établir leur certificat sur papier libre. Cela risque de compliquer les choses.

T. F. : Le certificat médical sur papier libre pourra toujours être admis.

Entre la réforme du tableau 57 sur les troubles musculo-squelettiques (TMS) de l'épaule et la prochaine révision du barème d'indemnisation, n'est-ce pas en priorité la maîtrise des coûts qui guide l'action des pouvoirs publics plutôt que l'amélioration du système de prise en charge des pathologies professionnelles ?

J.-L. R. : Le ministère du Travail et la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam-TS) avaient motivé la révision du tableau 57 par la volonté de réduire le nombre de dossiers transmis aux C2RMP. Dans les faits, avec le durcissement des conditions du tableau, c'est l'inverse qui s'est produit : en deux ans, les dossiers "TMS de l'épaule" devant passer par le système complémentaire ont augmenté de 40 %. Plus grave encore, les services médicaux des caisses ont inventé la formule "conditions réglementaires médicales non remplies", applicable lorsque l'IRM n'est pas joint. Le résultat, c'est une baisse considérable des reconnaissances. De même, la révision du barème laissée aux bons soins d'un petit groupe d'experts, sans la participation des représentants des victimes, va inévitablement faire baisser les taux d'incapacité. Cette démarche était déjà engagée avec le barème parallèle concocté en secret par le service médical de la Cnam. Ces mesures répondent aux orientations fixées dans le plan santé au travail qui s'est achevé, le PST2, et dans la convention d'objectifs et de gestion (COG) entre l'Etat et la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de la Sécurité sociale, à savoir faire baisser la sinistralité des TMS. C'est clairement l'objectif financier qui prévaut. Heureusement, pour d'autres risques, comme les chutes de hauteur ou les cancers professionnels, l'objectif, que nous partageons, est de réduire le risque et de diminuer, voire supprimer les expositions.

T. F. : Je ne partage pas votre analyse. La révision du tableau 57 a été menée pour tenir compte de l'évolution des connaissances médicales et remédier à l'imprécision de certains libellés, source d'interprétations divergentes pouvant entraîner des inégalités de traitement. Elle s'est appuyée sur une expertise scientifique dont la qualité a été reconnue. Le nombre de reconnaissances au titre du tableau 57 a certes baissé en 2012 et 2013, mais il a progressé en 2014. Par ailleurs, aucune "formule" n'a été "inventée" par les services médicaux : les tableaux sont créés par décret après concertation avec les partenaires sociaux.

Enfin, la révision des barèmes indicatifs ne répond pas à un objectif d'économies, mais à la nécessité d'actualiser un outil qui n'a pas été revu depuis plus de vingt ans. Il s'agit de mieux prendre en compte, là aussi, l'évolution des connaissances et techniques médicales et des modalités d'exercice professionnel, pour assurer une équité de traitement des victimes. L'Etat a initié cette révision, en accord avec la branche AT-MP. Ce travail, mené par le comité d'actualisation des barèmes, vient de débuter et s'inscrit dans la durée. Les partenaires sociaux et les associations seront régulièrement informés de l'avancée des travaux et pourront dans ce cadre réagir et faire des propositions.

La loi Rebsamen relative au dialogue social et à l'emploi, votée en 2015, a souhaité améliorer la reconnaissance du caractère professionnel des pathologies psychiques. Pour autant, n'est-on pas loin du compte au regard du peu de maladies reconnues ? Créer un tableau ne serait-il pas nécessaire ?

T. F. : La reconnaissance des pathologies psychiques progresse sous l'impulsion commune du législateur, des partenaires sociaux et du gouvernement. Dans le cadre du Conseil d'orientation des conditions de travail (Coct), les partenaires sociaux ont développé des outils diffusés auprès des C2RMP afin d'améliorer leur reconnaissance. L'adaptation du critère de gravité conditionnant l'examen en C2RMP permet aujourd'hui une reconnaissance pour des victimes dont l'état n'est pas stabilisé. Le décret d'application de la loi Rebsamen renforce l'expertise des comités en leur adjoignant si besoin la compétence d'un praticien hospitalier spécialisé en psychiatrie ; l'avis d'un médecin psychiatre peut également être demandé par la caisse ou le C2RMP. Ces améliorations font de la France l'un des pays européens les plus avancés dans ce domaine ; 339 pathologies psychiques ont été reconnues en 2014, soit un quadruplement en quatre ans. Les critères prévus par le législateur pour l'élaboration d'un tableau, notamment la désignation des maladies et la liste des travaux, ne sont pas adaptés aux pathologies psychiques. Comme les partenaires sociaux l'ont souligné dans le PST3, l'amélioration de la situation doit passer par des efforts de prévention de tous les acteurs.

J.-L. R. : Pour les psychopathologies, les éléments rassemblés dans les recommandations élaborées par le Coct pourraient permettre de travailler sur la construction d'un tableau. Certes avec des conditions restrictives pour les expositions, mais cela améliorerait la prise en charge. Mais votre question illustre un biais important du système : les employeurs sont en position de blocage, aucun tableau ne verra le jour s'ils y sont opposés. Néanmoins, je suis d'accord avec vous, monsieur Fatome, sur les progrès dans la reconnaissance des pathologies psychiques grâce à l'aménagement du seuil de 25 % d'incapacité requis pour pouvoir saisir le C2RMP. A défaut de tableau, un bilan de ce dispositif est indispensable et une réflexion sur la suppression ou la baisse du taux nécessaire pour accéder au système complémentaire doit s'engager.

Ne faudrait-il pas une réforme ambitieuse, de la reconnaissance comme de l'indemnisation, pour tenter de réduire l'écart entre le montant de la réparation et la réalité des préjudices subis par les victimes ?

J.-L. R. : Toutes les modifications engagées depuis quelques années visent à réduire l'impact financier des maladies professionnelles sur la branche AT-MP, au détriment à la fois de la branche maladie et des victimes du travail. Les freins à l'amélioration du système sont multiples. La France cumule un système de reconnaissance et d'indemnisation sans rapport avec les préjudices réels des victimes et un système de prévention défaillant au regard du nombre d'atteintes, reconnues ou pas. Résultat, un nombre de MP très important et des licenciements pour inaptitude en masse. Avec l'accroissement des psychopathologies liées au travail, nous pouvons craindre que ce phénomène ne continue. La réforme doit donc prendre en considération la réalité économique des victimes et obliger au reclassement. La complexité du système est un autre frein à une bonne réparation. Aussi, il faut faire en sorte que le système soit compréhensible pour les victimes et mettre en place des modalités d'accompagnement. Pour cela, il faut éradiquer la culture du secret de la Cnam et rendre publiques les circulaires et lettres-réseau et l'ensemble des données recueillies par les caisses et les C2RMP. Enfin, la dernière réforme de la tarification incite à la baisse de l'indemnisation et accroît le risque de contentieux.

Alors oui, une réforme s'impose, mais commençons par faire fonctionner correctement la réglementation actuelle en attribuant les moyens nécessaires aux caisses primaires et à la médecine-conseil.

T. F. : Je rappelle que la France est un des pays qui reconnaissent le mieux les maladies professionnelles, en particulier pour les cancers et les TMS, avec un ratio global de 426 reconnaissances pour 100 000 assurés. Dans un contexte financier très contraint, l'Etat s'est attaché à garantir les droits des victimes d'AT-MP et à maintenir leur niveau d'indemnisation. La réforme de la tarification ne vise donc aucunement à réduire ce niveau, mais à responsabiliser l'employeur ; en cas de contestation de ce dernier, les droits de la victime sont préservés.

Par ailleurs, la prévention de la désinsertion professionnelle et le maintien dans l'emploi sont des objectifs prioritaires du nouveau plan santé-travail (PST3) et des COG de la branche AT-MP. La mise en place d'une offre régionale d'accompagnement des travailleurs et des entreprises est essentielle. La branche AT-MP expérimente ainsi des parcours d'accompagnement personnalisé des victimes d'accidents graves pour améliorer leur état de santé et leur réinsertion professionnelle lorsqu'elles sont contraintes d'envisager un reclassement professionnel.

Repères

Le système de réparation des maladies professionnelles repose sur un dispositif principal composé de tableaux de maladies professionnelles définissant les pathologies, les délais de prise en charge et les travaux ou les conditions d'exposition. Les victimes qui ne remplissent pas tous les critères du tableau ou dont la maladie ne relève d'aucun tableau peuvent soumettre leur dossier à un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (C2RMP).