Yves Struillou : un directeur général du Travail sur mesure
Ancien inspecteur du travail, conseiller d'Etat, auteur d'un rapport sur la pénibilité... Au vu de son CV, le nouveau directeur général du Travail a le profil pour traiter une pile de dossiers chauds tels que la réforme de l'Inspection ou le compte pénibilité.
Au printemps, lors de l'arrivée d'Yves Struillou à la tête de la direction générale du Travail (DGT), une banderole syndicale flottait encore à l'entrée du bâtiment où il prenait ses nouveaux quartiers : "Le ministère fort... en bla-bla social". Changement à la tête de l'administration, puis changement de ministre : François Rebsamen a succédé à Michel Sapin, le chantre du "ministère fort" qui avait engagé une réforme de l'Inspection du travail contestée par une partie des syndicats. Mais le climat au sein de la tour Mirabeau, au siège de la DGT, reste le même, tendu. Yves Struillou ne s'y trompe pas. C'est "avec optimisme et... un peu d'appréhension" qu'il aborde sa nouvelle fonction, tout en affirmant être "stimulé par la difficulté". Il faut dire que, sur son bureau, les dossiers sensibles ne manquent pas : outre la réforme de l'Inspection mise sur les rails par son prédécesseur, Jean-Denis Combrexelle - resté treize ans en poste -, l'attendent la rédaction des décrets sur le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), le chantier de la représentativité du patronat et la réforme des élections prud'homales. "Les mener à bien n'a rien d'insurmontable, mais il faudra beaucoup de travail et, parce que la norme ne s'élabore pas dans une sphère étanche, beaucoup de concertation", confie Yves Struillou.
Passion du droit, goût du contact
Personne ne le conteste : il semble être la personne idoine pour relever ces défis. Le parcours de cet homme de 54 ans plaide pour lui. Issu d'un milieu d'enseignants, ce diplômé de Sciences Po commence sa carrière comme inspecteur du travail dans l'Essonne. C'est la passion du droit et le goût du contact qui l'amènent à confronter le Code du travail à la réalité du terrain. Ce métier où il dit "apprendre chaque jour", il le quitte pour faire l'ENA. Une deuxième étape dans sa carrière qui le conduit en 1994 au Conseil d'Etat, en tant que rapporteur à la section du contentieux. En 1998, il rejoint le cabinet de Martine Aubry, alors ministre de l'Emploi et de la Solidarité, comme conseiller technique pour mettre sur pied la loi sur les 35 heures. Un projet qui lui permet d'aborder "toutes les facettes du droit du travail" et de découvrir les rouages de l'administration ainsi que la discussion avec les partenaires sociaux et les parlementaires.
L'année 2000 sonne son retour au Conseil d'Etat, où il oeuvrera une dizaine d'années dans de multiples contentieux avant d'être nommé conseiller en service extraordinaire à la chambre sociale de la Cour de cassation, en 2011. "Je souhaitais continuer à suivre le domaine du travail dans une autre maison", relate Yves Struillou. Ce transfert, s'il demeure un fait rare dans les annales, n'est pas étonnant.
"Assurer la veille en santé-sécurité"
Au Conseil d'Etat, il a été l'artisan d'un rapprochement entre les deux juridictions : il a poussé à la création d'un groupe de travail pour que la section du contentieux de l'un et la chambre sociale de l'autre aient des rendez-vous réguliers permettant d'échanger sur des problématiques communes. Autant dire que le nouveau DGT a largement brassé la matière juridique du travail. Sans compter qu'il est le coauteur d'un ouvrage de référence sur le droit du licenciement des salariés protégés, dont la première édition remonte à 1996. Et qu'il a été le rédacteur du premier rapport sur la pénibilité, remis en avril 2003 au Conseil d'orientation des retraites. "C'est un juriste remarquable, un esprit brillant qui a une réflexion doctrinale, souligne Olivier Dutheillet de Lamothe, président de la section sociale du Conseil d'Etat. Il écrivait beaucoup dans les revues et intervenait dans de nombreux colloques."
L'homme ne manque donc pas d'atouts dans son jeu. Son ami de trente ans - ils étaient de la même promotion à l'école formant les inspecteurs -, Gilles Mathel, directeur du Travail en Ille-et-Vilaine, considère qu'il possède les qualités pour la fonction, sous la tutelle d'un ministère qu'il connaît et affectionne : "Outre sa grande force de travail, c'est quelqu'un qui considère les gens. Il sait dialoguer tout en restant ferme sur les principes, il a le sens de l'intérêt général." "Quand il s'est fait une conviction, il la défend et peut se montrer opiniâtre, complète Hervé Gosselin, ancien conseiller à la Cour de cassation. C'est un avantage à ce poste." D'autant qu'Yves Struillou arrive à un moment difficile, sur "un terrain abîmé" selon les mots d'Anthony Smith, secrétaire national CGT-ministère du Travail. Son passé d'inspecteur du travail jouera-t-il en sa faveur pour achever la réforme en cours ? "Connaître le terrain est toujours mieux, mais nous ne sentons pas une écoute particulière sur nos revendications, tempère le syndicaliste. Il était membre du Conseil national de l'inspection du travail ; il est en accord avec le projet voulu."
Conscient du malaise qui s'est aggravé, Yves Struillou tient à éviter le côté "ancien combattant" pour porter une réforme qu'il juge indispensable "afin que le service public de l'Inspection du travail réponde mieux aux attentes sociales et permette à l'Etat d'assurer sa veille en santé-sécurité". Il défend un projet qui vise à accroître les pouvoirs de sanction, qui représente une "opportunité" pour les agents - les contrôleurs sont amenés à devenir inspecteurs - et qui valorise le travail collectif sans remettre en cause l'autonomie, avec la création d'unités de contrôle thématiques, pilotées par un chef. Il reconnaît que le dialogue est difficile : "Restaurer la confiance passe par une transformation réussie de l'organisation, tâche complexe compte tenu de la pyramide des âges juge-t-il. Une des clés sera la qualité du plan d'accompagnement et de formation des agents et la façon dont seront désignés les responsables d'unité de contrôle."
A ses yeux, ce qui fait la force de la DGT, ce sont ses contacts, notamment avec les organisations syndicales et les branches, et son réseau de services déconcentrés. Yves Struillou bénéficie d'ailleurs d'une image positive dans les milieux professionnels et patronaux. Jean-Christophe Sciberras, président de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines, lui prête un sens politique : "Il a une bonne sensibilité de ce qu'un sujet peut produire comme effet dans un contexte social donné. De plus, c'est quelqu'un de pondéré."
"Un dispositif simple et opérationnel"
Sa connaissance du sujet pénibilité lui sera sans doute essentielle pour la création du C3P. Dans son rapport de 2003, il avait en effet dressé une typologie des risques objectivables ayant une incidence sur l'espérance de vie et avait préconisé de prendre en compte la durée d'exposition à des facteurs pénibles pour le départ en retraite. "La complexité des débats sur les valeurs limites d'exposition explique la latence de la réponse sociale, mais le dossier progresse, estime Yves Struillou. Mon souci est de construire un dispositif simple et opérationnel qui puisse être réellement mis en oeuvre." C'est, de fait, ce qui guide sa ligne de conduite : concevoir, à chaque fois que le législateur demande une intervention de son administration, des réponses efficientes pour "les entreprises et leur communauté de salariés". Avec une finalité : la protection de la vie humaine au travail.