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La parole au travail !

par Joëlle Maraschin, rédactrice en chef adjointe, et Stéphane Vincent, rédacteur en chef adjoint / 01 février 2024

Comme point de départ de ce dossier, il y a la proposition de faire de l’écoute des salariés sur le travail un dixième principe général de prévention. L’enjeu est important. Aujourd’hui, certaines formes de management, l’intensification du travail, la disparition du CHSCT ont rendu de plus en plus inaudible la parole des opérateurs de terrain. La source d’un gâchis et de risques non négligeables, tant pour la santé des salariés que pour celle des entreprises. Pour autant, la proposition n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît à mettre en œuvre, même si elle est cohérente avec le reste du dispositif de prévention. Les salariés ont parfois de bonnes raisons de ne rien dire et il n’est pas si facile de mettre des mots sur la réalité de son travail. Quand les directions ne font pas la sourde oreille. Autant d’obstacles à lever, avec l’appui des élus du personnel et d’outils méthodologiques éprouvés. Et le jeu en vaut la chandelle, comme le démontre l’initiative menée dans une station de ski des Hautes-Pyrénées, où l’écoute des salariés a permis de diminuer les accidents. Avec une conclusion : écouter ce qu’ont à dire les travailleurs, c’est essentiel, mais cela ne suffit pas, il faut aussi y apporter des réponses !

Dossier n° 125 01-16 DOSSIER ST125_def.pdf

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Comment faire parler les salariés de leur travail

par Bernard Dugué enseignant-chercheur en ergonomie à l’Université de Bordeaux / 19 janvier 2024

Echanger avec les salariés sur leur travail suppose de se former à une méthodologie d’entretien. L’entretien doit être préparé et guidé, pour éviter notamment une discussion trop générale ou se limitant aux tâches prescrites.

L’objectif des entretiens avec les salariés sur leur travail est de recueillir des éléments précis qui soient pertinents pour la compréhension des situations de travail, des atteintes possibles à la santé, afin de définir des mesures de prévention ou des pistes de transformation. Autrement dit, il s’agit de structurer les réflexions et les décisions au plus près du travail réel. Or, dans les entretiens, le risque existe toujours que les propos restent trop généraux, évoquent uniquement les tâches prescrites, comment les choses se passent « en général », et que cela ne dise pas grand-chose de l’activité réelle des personnes. Plusieurs méthodes existent pour contourner ces difficultés, à mettre en œuvre séparément ou de façon complémentaire, et dans tous les cas à adapter au contexte, aux possibilités matérielles et à l’accord des interlocuteurs.
Tout d’abord, un entretien se prépare : quels sont les objectifs, qu’est-ce qu’on cherche à expliquer, quels sont les sujets que l’on souhaite évoquer ? Quelles informations ont pu être collectées au préalable pour favoriser les discussions ? L’entretien doit être guidé tout en évitant qu’il ne se réduise à des questions-réponses qui fermeraient la discussion. Cela suppose d’être attentif aux hésitations, aux contradictions éventuelles (qui n’en sont pas forcément), et de toujours faire situer les propos en temps et en lieu : à quel moment, à quel endroit, qui était présent ? Est-ce que c’est toujours comme ça, c’était comment la semaine précédente ou la veille ? Sans porter de jugement sur les propos tenus… ni parler plus ou à la place de l’interlocuteur !

Partir des observations du travail 

Il est également possible de partir d'observations du travail pour engager les échanges avec les salariés, en les confrontant à des données recueillies sur le terrain. Ces échanges peuvent avoir lieu pendant leur activité de travail, les observations peuvent aussi être filmées ou photographiées. L’enregistrement sert de base aux échanges, l’objectif est que la personne puisse expliquer ce qui s’est passé concrètement, ce qui l’a menée à prendre telle décision, qu’est-ce qu’elle a cherché à faire, comment elle a évalué la situation.
Si un questionnaire a été diffusé, il est alors utile de comprendre ce qui se passe précisément dans une unité de travail donnée, comment par exemple « l’absence de consignes claires » ou « le manque d’autonomie » se traduisent concrètement dans l’activité quotidienne, à partir d’exemples précis. Les entretiens peuvent être collectifs, ce qui permet de confronter des visions différentes d’un même événement mais aussi des manières alternatives de traiter une situation de travail.
A travers ces entretiens, les salariés vont probablement se poser des questions qu’ils ne s’étaient jamais posées auparavant, ou pas de cette manière. Il s’agit d’essayer de lever le voile ensemble sur des pans de la réalité, et le salarié va probablement continuer à y réfléchir après la fin de l’entretien. Il est souvent profitable, lorsque c’est possible, de laisser des questions en suspens et de revenir quelque temps après pour finaliser l’entretien. Se former à ces méthodes d’entretien est utile et nécessaire pour les représentants du personnel.