
A l’hôpital Cochin, le service de psychiatrie en pleine souffrance
Prévu en juin prochain, le déménagement imposé au service de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Cochin de Paris provoque une crise entre le personnel et la direction de l’AP-HP. Face aux départs de médecins, les équipes redoutent de ne plus pouvoir assurer les 8000 consultations annuelles.
Alors même que la santé mentale a été érigée Grande cause nationale en 2025, le service de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Cochin de Paris craint d’être mis au rebut. Installé depuis 2006 dans le pavillon Tarnier, situé dans le 6e arrondissement de Paris, le service de psychiatrie et d’addictologie de l'hôpital Cochin doit déménager pour laisser place au futur Institut pour la santé des femmes, un centre de recherche pluridisciplinaire dont l’ouverture est prévue en 2029.
L’unité de psychiatrie doit donc être déplacée dès juin prochain, mais pour aller où ? La solution proposée par l’AP-HP de déménagement à l’Hôpital gériatrique de la Collégiale, situé à 1,5 kilomètre de l’hôpital Cochin, ne satisfait pas les équipes et engendre une grande souffrance. D’autant que le bâti de la Collégiale est à l’abandon depuis trois ans à cause de sa vétusté.
Une consultation souffrance au travail
Réputée pour la prise en charge des troubles borderline, des troubles obsessionnels compulsifs ou des troubles de l’attention et de l’hyperactivité (TDAH) des adultes, cette unité de psychiatrie dispense des psychothérapies gratuites, mais forme également des médecins et des étudiants.
Avec 8 000 consultations et 2 000 journées d’hôpital par an, elle se distingue également par sa prise en charge de la souffrance au travail : pendant quatorze séances étalées sur trois mois, deux groupes composés de huit personnes, peuvent parler de l’anxiété, de la dépression et du stress post-traumatique engendrés par leurs conditions de travail. « C’est un dispositif unique qui est aujourd'hui menacé », regrette le docteur Jacques Darmon, médecin du travail qui intervient auprès du Centre de consultations de pathologies professionnelles et environnementales (CCPPE) de l’hôpital Hôtel-Dieu, et oriente certains de ses patients vers ce dispositif.
Alerte à l'inspection du travail
Inquiet pour l’avenir de son service, le professeur Bernard Granger ne comprend pas la décision de sa hiérarchie. « Nous avons insisté afin que la direction étudie un projet d’implantation dans Cochin afin de regrouper en un même lieu tous les effectifs et toutes les activités du service, y compris l’activité de liaison, c’est-à-dire les avis et suivis psychiatriques réalisés pour les patients des autres services de l’hôpital », détaille-t-il.
En guise de solution, le médecin-psychiatre a repéré une crèche désaffectée au cœur de l’hôpital Cochin, laissée à l’abandon depuis 2020. La proposition a emporté l’adhésion de plusieurs médecins parmi lesquels des chefs de service, et elle est même soutenue par les syndicats CGT et FO. Dans un courrier adressé au directeur de l’AP-HP, Emmanuelle Rémond, présidente de l’Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam), apporte également son soutien au service.
Mais la direction de l’AP-HP s’y oppose au motif que les travaux nécessaires coûteraient trop cher, qui plus est pour une solution provisoire. A terme, il est en effet prévu de regrouper les activités de jour de psychiatrie et d’addictologie dans le nouvel hôpital de l’Hôtel-Dieu, qui doit lui aussi subir un vaste plan de rénovation dont le calendrier reste à ce jour incertain.
La situation flottante depuis un an a cristallisé un mal-être au sein des équipes. « Nous ressentons que l'activité du service n’est pas considérée, que l’intérêt des patients n’est pas au centre des décisions et que le personnel est malmené, conduisant à une souffrance », témoigne une membre du personnel. Le 30 septembre 2024, cette salariée qui officie à l’APHP depuis plusieurs dizaines d'années n’avait « jamais eu recours à aucun arrêt maladie » a demandé un rendez-vous auprès de la médecine du travail, soulignant combien « la situation actuelle met [sa] santé en danger ». D’après les informations de Santé & Travail, une alerte a également été transmise à l’inspection du travail.
"Enormément de patients sur liste d'attente"
Au service psychiatrique de l’hôpital Cochin, on redoute aussi les répercussions sur les patients. Six personnes, dont cinq médecins, ont déjà annoncé leur départ, soit un tiers de l’effectif. Le professeur Bernard Granger, qui assurait à lui seul 1 500 consultations par an, prendra prochainement sa retraite. En filigrane, c’est toute l’activité de consultation qui risque d’être mise à mal. « La seule chose que l’on sait c’est que, dans l’immédiat, l’activité de consultation ne sera plus assurée qu’à hauteur de 20-25%, indique une membre du personnel. Nous avons énormément de patients sur liste d’attente et nous ne savons pas comment faire. »
Sur ce point, l’AP-HP, par la voie de son service communication, souligne qu’il est « inconcevable » que l’offre en psychiatrie soit affaiblie. Sans donner davantage de détails, l’établissement indique qu’« un plan d’actions est en cours de mise en œuvre » afin de « renforcer à court terme la psychiatrie de liaison », à savoir la prise en charge des patients hospitalisés dans l’ensemble des services de l’hôpital Cochin.
Pour le professeur Bernard Granger, ce déménagement est le signe d’une forme de discrimination de sa discipline : « C’est symbolique de la façon dont la psychiatrie est traitée. Nous avons alerté sur les risques engendrés sur le personnel et les patients par ce déménagement dans un endroit inapproprié, mais force est de constater que nous n’avons pas été entendus. C’est un vrai gâchis. » Propriétaire des murs du pavillon Tarnier, la mairie de Paris a fait part de son soutien aux personnels, et espère qu’un dialogue sera renoué.