A la recherche des liens entre suicide et travail
Le premier rapport de l'Observatoire national du suicide montre que certaines catégories et activités professionnelles sont plus exposées à ce risque. Mais sans pouvoir en définir les causes précises. Un nouveau terrain d'étude.
Les inégalités sociales de santé semblent concerner également le suicide. Les agriculteurs, les employés et les ouvriers sont en effet deux à trois fois plus susceptibles de mettre fin à leurs jours que les cadres. C'est ce que révèle le premier rapport de l'Observatoire national du suicide (ONS), publié fin 2014 (voir "A lire"). Chaque année, plus de 11 000 personnes se suicident et près de 200 000 tentent de le faire. Créé par le ministère de la Santé en 2013, l'ONS a pour mission de mieux appréhender et prévenir le phénomène.
Dans son rapport, il signale un risque de suicide plus élevé pour les hommes que pour les femmes. Les secteurs de la santé et de l'action sociale, de l'agriculture, de la sylviculture et de la pêche présentent un risque accru de conduite suicidaire. "En décrivant les suicides selon l'emploi, on constate que des professions et secteurs d'activité apparaissent plus à risque, sans pouvoir établir de liens de causalité avec le travail", souligne Imane Khireddine, coordinatrice du programme Santé mentale et travail à l'Institut de veille sanitaire (InVS) et copilote du rapport avec la direction de la Recherche, des Etudes, de l'Evaluation et des Statistiques (Drees) du ministère de la Santé. "Le suicide est plurifactoriel, ses déterminants sont multiples et l'imputabilité au travail est difficile à établir", précise-t-elle.
Le rapport relève également des taux élevés de mortalité par suicide chez les personnes sans emploi. A leur sujet, Michel Debout, professeur de médecine légale et membre de l'ONS, invite à rechercher notamment si le chômeur était indemnisé ou non, ou si le suicide a été commis après un licenciement. Ce spécialiste plaide pour approfondir les connaissances en termes de mortalité et de morbidité
Croiser les données
"Les services de médecine légale détiennent des informations sur les circonstances des suicides, mais celles-ci ne sont pour l'instant ni standardisées ni centralisées pour permettre des analyses", note Imane Khireddine. En vue d'affiner les recherches, l'ONS propose plusieurs pistes : un nouveau certificat de décès indiquant les circonstances, le lieu et, le cas échéant, si le suicide est survenu lors d'une activité professionnelle ; le renforcement de la participation des services de médecine légale à la surveillance des suicides et l'amélioration du recueil des données médico-administratives ; la poursuite du programme épidémiologique Cosmop sur la mortalité par professions mené par l'InVS et un croisement des données.
Pour sa part, Béatrice Edrei, psychodynamicienne du travail, attend surtout des futures études une approche plus étiologique, avec une analyse des liens entre suicide et travail. "Les études épidémiologiques, quantitativistes, s'avèrent utiles pour les gestionnaires de santé mais pas pour les praticiens", expose-t-elle. Pour elle, la prévention passe avant tout par la valorisation des pratiques de terrain, en lien avec une conception précise de la santé au travail, et la collaboration des médecins du travail, "sinon il y a un risque de traitement purement symptomatique et désindexé du travail".
En matière de prévention, le rapport cite le plan national 2011-2014, qui visait à prévenir la souffrance psychique et à réduire l'accès aux moyens létaux. Il donne en exemple le dispositif de prévention mis en place par la Mutualité sociale agricole. L'ONS préconise aussi des études multidisciplinaires combinant travaux quantitatifs et qualitatifs, des recherches neurobiologiques ou sur le poids et l'interaction entre les différents facteurs de risque, l'évaluation des actions et un suivi dans le cadre de la stratégie nationale de santé. Le prochain rapport, attendu en fin d'année, devrait dire si ces pistes ont été suivies.
Suicide. Etat des lieux des connaissances et perspectives de recherche, Observatoire national du suicide, 1er rapport, novembre 2014. Document disponible sur www.sante-gouv.fr