Des accidents du travail très cher payés pour les victimes
Les victimes d’accidents du travail subissent une perte de revenus d’activité « massive et durable », souligne une étude du service statistique du ministère de la Santé publiée en avril. Une insuffisance objectivée de la réparation en cas d’incapacité permanente.
Les séquelles d’un accident du travail entraînant une incapacité permanente partielle (IPP) sont-elles suffisamment indemnisées via la branche accidents du travail / maladies professionnelle (AT-MP) de la Sécurité sociale ? La direction de la Recherche, des Etudes, de l'Evaluation et des Statistiques (Drees) vient d’apporter des chiffres éclairants, permettant d’objectiver un débat de longue date autour de l’insuffisante indemnisation des victimes. Et les conclusions de cette étude sont sans appel : « si l’on considère que les cotisations AT-MP doivent permettre d’assurer le maintien du revenu du ménage de la victime, alors, tel qu’il est calculé, le coût moyen apparait sous-évalué », écrivent ses auteurs.
Perte de salaire de plusieurs milliers d’euros
Les services statistiques des ministères sociaux ont analysé l’évolution des revenus d’un échantillon de 5 000 victimes d’un accident du travail ayant entraîné une incapacité permanente entre 2011 et 2016. Un accident du travail avec une IPP supérieure à 10 % entraîne une perte de salaire de 10 000 euros ainsi qu’un volume d'heures travaillées amputé de 750 heures, quatre ans après l’événement. Et en-deçà de ce taux d’IPP, les conséquences sont loin d’être négligeables : le salaire annuel chute de 4 000 euros.
Pour les auteurs de l’étude, ces données témoignent ainsi d’une « perturbation considérable sur la trajectoire professionnelle, d’autant plus forte et durable que les séquelles de l’accident sont graves ». Si certaines victimes continuent de travailler, la part de celles qui se retrouvent au chômage monte à 30 % en cas de taux d’IPP supérieurs à 10 %, et à 20 % pour les autres, trois années après l’accident. Par ailleurs, « la part non négligeable des indemnités journalières dans les transferts publics perçus quatre ans après l’accident suggère de fréquentes rechutes, également susceptibles de perturber les trajectoires professionnelles », note la Drees.
L’assurance-chômage, premier soutien financier des victimes
Dans les premiers mois suivant l’accident, les pertes de salaire sont intégralement compensées par les indemnités journalières du régime AT-MP. Les indemnités complémentaires versées par l’employeur contribueraient même à une légère hausse momentanée des revenus, selon l’étude. Cependant, à partir de la deuxième année, cette indemnisation « n’est plus suffisante pour soutenir le revenu disponible du ménage de la victime », poursuit la Drees.
Quatre ans après l’accident, l’indemnisation par le chômage devient le premier soutien financier des victimes, compensant plus de 40 % de la perte de revenus en moyenne. D’autres prestations de solidarité comme le revenu de solidarité active (RSA), la prime d’activité ou l’allocation aux adultes handicapés (AAH) prennent aussi le relais.
De quoi montrer, en creux, le poids très relatif de l’indemnisation au titre de l’incapacité. Pour les victimes ayant un taux d’IPP inférieur à 10 %, l’indemnité en capital ne représente que 13 % des transferts publics. Au-delà de ce taux, quatre ans après l’accident, les rentes d’incapacité représentent un tiers (34 %) des compensations, à part quasi égale avec l’assurance-chômage.
Trappe à pauvreté
« On n’apprend rien de nouveau sur le caractère insuffisant de l’indemnisation aux accidentés du travail, mais cette étude confirme que l’assurance-chômage fait le boulot du régime AT-MP. Elle montre à quel point le coût des accidents du travail est sous-évalué », réagit l’avocat Karim Felissi, conseiller de la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath).
Si l’étude a le mérite de documenter un sujet trop peu exploré, elle ne traduit pas tout à fait la gravité des accidents du travail sur les vies des victimes, pointe de son côté Arnaud Olivier, du cabinet d’avocats Avoclex. Des publics fragiles ne touchent aucune indemnisation de la branche des risques professionnels sous l’effet des refus de reconnaissance et de la multiplication des constats de guérison par les Caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), « spécialement pour les publics les plus fragiles maîtrisant mal la langue française ». Par ailleurs, l’étude n’inclut ni les salariés précaires ayant cotisé moins d’un an, ni les personnes en hébergement collectif ou sans-domicile subissant des accidents, pointe l’avocat.
Surtout l’étude occulte la chute dans la pauvreté, qui intervient au-delà des cinq années suivant les accidents. « C’est là que la situation des accidentés se complique vraiment avec l’arrêt des allocations chômage », souligne Arnaud Olivier. « Ce système est une fabrique à pauvres. Avec leurs petites rentes, les victimes dépendent du RSA pour survivre et doivent demander des aides pour tout », renchérit Karim Felissi.
Une meilleure réparation attendue pour 2025
La « juste réparation » due aux victimes des accidents du travail est au menu de l’accord national interprofessionnel du 15 mai 2023 relatif aux accidents du travail et des maladies professionnelles. Les partenaires sociaux se sont notamment accordés sur la nécessité de mieux prendre en compte la perte de gains à la suite d’un accident du travail à travers le « coefficient professionnel » qui vient majorer le taux d’incapacité. Des travaux préparatoires visant à revoir la rente AT/MP ont été engagés depuis le début de l’année, en vue d’une concertation qui doit aboutir d’ici juin, d’après Force ouvrière. Des mesures qui seront transposées dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2025.