Des actifs en détresse psychique du fait du travail
Une récente étude, menée par la Fondation Pierre-Deniker, pointe le poids de certains facteurs de risques professionnels dans l'apparition de troubles psychiques chez les actifs. Ses auteurs appellent à une intervention des pouvoirs publics.
S'il n'est certes pas nouveau, le constat global auquel vient d'aboutir l'étude menée par la Fondation Pierre-Deniker confirme que la santé mentale s'abîme dans l'exercice du travail. Intitulée Santé mentale des actifs en France : un enjeu majeur de santé publique, cette étude, dont les résultats ont été présentés le 26 novembre dernier au Conseil économique, social et environnemental (Cese), fait apparaître que 22 % des actifs présentent "une détresse orientant vers un trouble mental".
Réalisée début mars 2018 sur Internet, auprès de 3 200 personnes représentatives de la population française, l'enquête se présente comme "la première étude épidémiologique" à croiser "les facteurs de risques psychosociaux liés au travail et la détresse orientant vers un trouble mental". Une affirmation que tempère le statisticien et ergonome Serge Volkoff : "Le système statistique public français, l'Institut de veille sanitaire et les réseaux de médecins du travail opèrent déjà très bien ce type de croisements depuis des décennies, et de diverses manières, lors d'enquêtes majeures." L'étude Santé itinéraire professionnel, menée de 2006 à 2010, en est le meilleur exemple. Néanmoins, pour le statisticien, également membre du comité de rédaction de Santé & Travail, "il est toujours bon de souligner les méfaits de l'organisation du travail sur la santé mentale". Et de ce point de vue, même si l'échantillon est plutôt réduit, les résultats obtenus par l'enquête de la fondation "ne sont pas douteux".
Gare au déséquilibre travail-vie privée
Cette enquête observe ainsi qu'aucun statut professionnel - cadre ou non-cadre - n'est épargné. De tous les salariés échantillonnés, ceux du secteur de la finance, de l'immobilier et des assurances semblent les plus affectés. Suivent ceux des transports, de la poste et des télécommunications, de l'éducation, de la santé et du social. Toujours selon l'étude, les femmes sont plus exposées que les hommes (26 % contre 19 %). Sur les 44 facteurs de risques psychosociaux répertoriés, le déséquilibre entre vie professionnelle et vie personnelle apparaît comme le plus important : 45 % des individus concernés présentent les signes d'une détresse psychique. Percevoir un salaire annuel net inférieur à 15 000 euros semble aussi être un facteur de risque, pour 30 % des salariés. Tout comme aider, en parallèle à son activité, un proche en situation de handicap ou de maladie, avoir un temps de trajet domicile-travail supérieur à 1 heure 30, travailler de nuit ou être en télétravail.
Pour le Dr Patrick Légeron, psychiatre qui a présidé le comité scientifique de l'étude, ces résultats devraient inciter les pouvoirs publics à ouvrir des pistes d'action : "Il en va de l'intérêt collectif." Car, au-delà des dégâts humains, cette détresse psychique entraîne des arrêts de travail, des hospitalisations et des prescriptions de médicaments, dont "le coût considérable est mutualisé : chacun de nous paye, alors que seules certaines entreprises en sont responsables", affirme le psychiatre. Il suggère ainsi que "le principe pollueur-payeur soit appliqué", comme pour l'environnement. "Mais cela relève d'une décision politique, encore trop faible sur ce point dans notre pays", conclut Patrick Légeron.