Affaire AZF, "Contrer l'intox développée par Total"
Philippe Saunier. Syndicaliste CGT, membre du collectif santé-travail de la Fédération des industries chimiques, il vient de coordonner un ouvrage sur la catastrophe d'AZF, qui décrypte les causes et les responsabilités de ce "crime industriel".
Le livre que vous avez coordonné, AZF/Total, responsable et coupable, sort dix-sept ans après l'explosion de l'usine, à Toulouse. Quel est son objectif ?
Philippe Saunier : L'ouvrage, collectif, vise à rassembler les expressions d'élus du personnel, de représentants syndicaux, d'associations de victimes, d'experts, d'avocats. Il s'agit de tirer les enseignements politiques et juridiques de cet accident industriel, après la condamnation pénale de Grande Paroisse, gestionnaire du site, et de son directeur. Pour contrer l'intox développée par Total, dans et hors l'usine, nous revenons sur les éléments constitutifs de l'explosion : le mélange accidentel de chlore et de nitrate d'ammonium lors d'une tâche de gestion des déchets confiée à des sous-traitants non formés aux risques, sans supervision par les services de l'entreprise, dans un hangar ne respectant pas les prescriptions réglementaires. Beaucoup d'ouvrages ont fleuri sur de prétendus "mystères" autour de l'accident, des hypothèses élaborées par Total pour brouiller les pistes. Il était important de faire connaître les stratégies de la multinationale, qui se défausse sur sa filiale AZF, laquelle n'existe plus que sur le papier. Et de souligner que la justice pénale a reconnu la responsabilité de Grande Paroisse, ce qui constitue une victoire pour les parties civiles. Une victoire relative, car une amende de 220 000 euros pour un accident ayant fait 31 morts et 22 000 blessés reste dérisoire1 .
L'ouvrage dénonce aussi l'absence de mise en cause de Total dans l'accident...
P. S. : La plainte de la CGT contre Total a été jugée... irrecevable. Dès le lendemain de l'explosion, l'entreprise a créé une commission d'enquête interne, court-circuitant l'enquête judiciaire et celle du CHSCT. Des éléments accréditant la piste chimique ont été dissimulés. Total a "encadré" les témoins salariés et a mis fin à des travaux de recherche mettant en cause la responsabilité de l'entreprise, interdisant même la publication des premiers résultats. Des pressions et critiques ont aussi été exercées à l'encontre de l'inspectrice du travail et du commissaire de police, dont les constats gênaient Total. Malgré tous ces éléments, la plainte pour entrave à la justice menée par l'Association des familles endeuillées n'a pas abouti.
Le faible contrôle exercé par l'Etat est aussi dénoncé. Qu'en est-il aujourd'hui ?
P. S. : Dans l'ouvrage, l'association Plus jamais ça relève l'absence de toute mesure coercitive à l'encontre d'AZF. Et Me Jean-Paul Teissonnière alerte sur une connivence entre les industriels et l'Etat permettant la quasi-impunité des "crimes industriels". Pour AZF, la direction régionale de l'Industrie, de la Recherche et de l'Environnement, la Drire, avait été très laxiste, puisque l'autorisation d'exploitation n'était pas à jour. Une commission parlementaire, créée après l'accident, avait émis 90 propositions positives. Mais les mesures, plutôt les demi-mesures, de la loi Bachelot qui a suivi sont depuis tombées à l'eau. Par exemple, les comités locaux d'information et de concertation, prévus pour les installations industrielles à risque, ont été remplacés par des commissions sans pouvoir d'enquête. Les règles du Code de l'environnement pour l'obtention de l'autorisation d'exploitation ont été assouplies. La sous-traitance a augmenté. Le travail détaché aussi. Et les ordonnances Macron ont supprimé les CHSCT. Dans ces conditions, la possibilité d'un nouvel AZF, demain, n'est pas une vue de l'esprit.
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En marge de la procédure pénale, Total a réglé à l'amiable l'indemnisation des victimes de l'accident, pour un montant d'environ 2 milliards d'euros.
AZF/Total, responsable et coupable. Histoires d'un combat collectif, Rémy Jean et Philippe Saunier (coord.), coll. Le Présent Avenir, Syllepse, 2018.