Affaire Tefal : l'Inspection du travail mise au pas ?
Alors que l'entreprise Tefal qu'elle contrôlait a cherché à faire pression sur elle via sa hiérarchie, l'inspectrice du travail Laura Pfeiffer vient d'être condamnée en correctionnelle. Une sanction qui sème l'émoi dans la profession.
"J'ai le sentiment d'avoir juste fait mon métier, ce qui apparemment dérange." C'est par ces mots que l'inspectrice du travail Laura Pfeiffer a accueilli, vendredi 4 décembre, le délibéré rendu par le tribunal correctionnel d'Annecy. Poursuivie pour "violation du secret professionnel" et "recel de courriels" de l'entreprise Tefal, la jeune femme écope de 3 500 euros d'amende avec sursis.
Laura Pfeiffer s'est retrouvée sur le banc des accusés pour avoir voulu faire appliquer le Code du travail au sein de l'usine Tefal de Rumilly (Haute-Savoie)1 . En 2013, lors d'un contrôle du site, celle-ci constate des anomalies sur l'accord des 35 heures. Au lieu de régulariser la situation, la direction des ressources humaines (DRH) se démène pour dessaisir l'inspectrice du dossier via l'UIMM, sa branche patronale. Ainsi, son supérieur sera secrètement prévenu de ses démarches. D'ailleurs, ce dernier, qui la convoque dans son bureau en avril 2013 pour une "mise en garde", lui reprochera alors de vouloir "mettre le feu" à une entreprise qui emploie 1 800 personnes.
L'objectif de la DRH ne va pas rester longtemps dissimulé. Alors en arrêt maladie pour dépression suite aux intimidations exercées sur elle, Laura Pfeiffer reçoit par mail anonyme, en octobre 2013, une copie de plusieurs courriels internes à la DRH prouvant que des manoeuvres ont été engagées pour lui faire obstacle. Ils émanent d'un informaticien de Tefal. L'inspectrice transmettra les documents à sept syndicats, lesquels médiatiseront l'affaire. Et c'est cette transmission qui lui vaut d'être poursuivie aujourd'hui.
"Nous avons fait appel de la décision du 4 décembre, déclare Me Henri Leclerc, l'avocat de Laura Pfeiffer. Ce délibéré est le signe d'un jugement qui ne veut pas écouter que Mme Pfeiffer n'a jamais fait que se défendre. En se défendant, elle a effectivement remis aux syndicats les documents prouvant qu'elle était l'objet de comportements guère admissibles dans les relations qui existaient entre son supérieur et l'entreprise. A mon avis, elle n'a commis ni le recel qu'on lui reproche, ni la violation du secret professionnel."
"Comportement sévère"
Et vu que "les débats à l'audience ont montré un comportement sévère à l'égard de l'inspectrice du travail,j'espère que ce délibéré n'est pas une décision contre l'Inspection du travail", ajoute l'avocat. Pour le collectif d'organisations syndicales de l'Inspection (CGT, FO, FSU, Sud-Travail) constitué en soutien à Laura Pfeiffer, cela ne fait aucun doute. Ainsi, pour Benoît Verrier, inspecteur du travail et représentant du syndicat Sud-Travail sur Grenoble : "On est dans un contexte où l'Inspection du travail n'est pas à la mode, où on aimerait bien qu'elle soit plus sage, qu'elle reste dans ses bureaux. En tant qu'agents, ce verdict va nous poser un vrai problème dans la pratique au quotidien."
Par une lettre adressée le 7 décembre aux directions régionales du Travail, la ministre du Travail, Myriam El Khomri, a tenu à exprimer son attachement à l'action des agents de l'Inspection du travail "qui est essentielle pour la bonne application du droit du travail dans les entreprises". Elle a assuré Laura Pfeiffer que les condamnations prononcées seront prises en charge par l'Etat.
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Voir notre enquête complète sur www.sante-et-travail.fr