« Affirmer haut et fort l’enjeu fondamental de la santé au travail »
L’Organisation internationale du travail va inscrire le « milieu de travail sûr et salubre » dans sa liste des principes et droits fondamentaux. Directeur du bureau de l’OIT pour la France, Cyril Cosme nous détaille les effets de cette décision.
Le 10 juin, la 110e Conférence internationale du travail a ajouté la santé et la sécurité au travail à la liste des principes et droits fondamentaux. Qu’est-ce que cela signifie ?
Cyril Cosme : C’est une avancée majeure. Les travailleurs du monde entier se voient reconnaître le droit d’exercer leur activité professionnelle dans un environnement « sûr et salubre ». Ce nouveau principe fondamental s’applique aux 187 Etats membres de l’Organisation internationale du travail, qu’ils aient ou non ratifié les conventions portant sur le sujet. Depuis 1998, la liste des principes et droits fondamentaux au travail comptait quatre items : la liberté syndicale, l’élimination du travail forcé, l’abolition du travail des enfants et l’interdiction des discriminations. La santé et la sécurité au travail viennent donc compléter cet arsenal.
La résolution adoptée en séance plénière vise à obliger les Etats membres à respecter, promouvoir et offrir un « milieu de travail sûr et salubre ». Quelle portée faut-il donner à cette expression ?
C. C. : Il est vrai que ces mots ne sont guère employés dans l’Hexagone. Au sein de l’OIT, on a retenu la notion de « milieu de travail » plutôt que de « conditions de travail ». Cette définition permet de mieux inclure la question de la prévention et d’englober toutes les formes d’activité, quels que soient les statuts des travailleurs. C’est une notion plus large, plus collective, qui ne renvoie pas les travailleurs à leur situation individuelle de travail. Mais au-delà de ces débats sémantiques, vous pouvez retenir qu’il s’agit bien d’affirmer haut et fort l’enjeu fondamental de la santé et de la sécurité au travail.
Les principes et droits fondamentaux de l’OIT sont-ils opposables devant un juge ?
C. C. : A la condition que les conventions soient ratifiées. Sur le plan juridique, ce sont les conventions qui obligent les Etats signataires. Mais cela ne signifie pas du tout que ces principes sont sans valeur. Beaucoup d’organisations internationales s’y réfèrent dans leurs engagements. On peut par exemple citer la Banque mondiale, qui les mentionne dans ses protocoles de prêts, ou les Etats-Unis et l’Union européenne, qui y font référence dans leurs accords de commerce bilatéraux. Les partenaires sociaux s’appuient aussi sur ces principes lorsqu’ils négocient des accords ou des engagements sectoriels au niveau international.
Pour les salariés français, la reconnaissance de ce nouveau droit fondamental change-t-elle la donne ?
C. C. : Pas de façon décisive, car la France a déjà ratifié en 2014 la convention 187 de l’OIT sur « le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail ». Dans son article 3, ce texte affirme ainsi que « tout membre doit promouvoir et faire progresser, à tous les niveaux concernés, le droit des travailleurs à un milieu de travail sûr et salubre ». En cas de difficultés, les travailleurs français et leurs représentants ont donc déjà des leviers pour forcer le gouvernement à agir. Néanmoins, cette consécration de la santé et de la sécurité au travail comme principe fondamental donne du poids à ceux qui veulent s’emparer du sujet dans les entreprises. C’est un levier pour le dialogue social.
Les entreprises hexagonales seront-elles impactées par cette décision ?
C. C. : Les principes et droits fondamentaux de l’OIT intéressent directement les entreprises multinationales, quelle que soit leur nationalité. Lorsqu’elles contractualisent avec des fournisseurs ou des sous-traitants, implantés aux quatre coins du monde, les multinationales incluent souvent des clauses portant sur le respect de ces principes et droits fondamentaux. Cela va donc avoir des effets sur les chaînes mondiales d’approvisionnement. Désormais, donneurs d’ordre et sous-traitants ne pourront plus passer sous silence les questions de santé et de sécurité au travail.