Agence tous risques
Cette fois, ça y est. A compter du 1er juillet, et après moult tergiversations, l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), pièce maîtresse du premier plan santé-travail, disparaît au terme d'une fusion avec sa grande soeur l'Afssa, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, pour donner naissance à l'Anses, Agence nationale de sécurité sanitaire.
S'il ne s'agissait que de mutualiser des moyens de fonctionnement entre les deux agences, pour faire des économies, personne n'aurait trouvé à redire à cette initiative. Mais, au-delà du prétexte de la fameuse révision générale des politiques publiques (RGPP), les motivations qui ont présidé à ce regroupement ne sont sans doute pas toutes avouables. Organisations syndicales, associations de défense des victimes et de l'environnement ont exprimé ensemble leurs craintes de voir remis en cause certains principes fondamentaux devant présider au fonctionnement d'une agence de sécurité sanitaire, en particulier celui de l'indépendance de l'expertise et celui de la séparation stricte entre évaluation des risques et gestion de ceux-ci. Si elles n'ont pas formellement eu gain de cause, elles ont néanmoins obtenu des garanties.
Pour autant, la partie est loin d'être gagnée. Deux écueils guettent l'efficacité du dispositif. Tout d'abord, la différence de culture entre les deux agences va constituer l'obstacle le plus sérieux à l'harmonisation des pratiques des équipes. Autant l'Afsset a su développer une réelle autonomie à l'égard de ses tutelles, autant l'Afssa n'a pas su s'affranchir de la puissante direction générale de l'Alimentation du ministère de l'Agriculture. Autant l'Afsset a intégré le principe de précaution dans l'analyse des signaux faibles de risques, autant l'Afssa reste très prudente dans ses préconisations tant que les risques ne sont pas avérés. Ainsi, à quelques mois d'intervalle, les deux agences ont rendu chacune un avis sur les risques des nanomatériaux. Difficile de trouver deux analyses plus dissemblables : quand l'Afsset tire la sonnette d'alarme et recommande aux autorités l'application du principe de précaution, l'Afssa évoque un simple devoir de prudence.
Or rien ne dit que c'est la petite Afsset, avec ses 300 agents, qui imposera sa méthode et sa culture à son aînée, forte de ses 1 000 agents.
D'autant que, et c'est le second obstacle, du côté du véritable instigateur de cette fusion, le ministère de la Santé, on ne voit pas forcément d'un très bon oeil l'autonomie de l'Afsset et sa propension à formuler des recommandations de gestion des risques, ce qui, pourtant, fait partie de ses missions. En témoigne l'attitude du ministère, qui, à la suite de l'avis sensible de l'Afsset sur les fibres courtes et fines d'amiante, a préféré confier un nouveau rapport au Haut Conseil de la santé publique, qu'il contrôle mieux, avant de publier son texte réglementaire... Mettre en oeuvre les préconisations de l'agence entraînerait sans doute un surcoût dans les chantiers de désamiantage, jugé prohibitif avenue de Ségur... Pourtant, l'histoire a montré que la sécurité sanitaire, au travail, dans l'environnement ou dans l'assiette, s'accommodait mal d'une expertise aux ordres.