Aída Ponce Del Castillo : l'avocate des conditions de travail en Europe
Juriste, spécialiste des nanotechnologies et... championne de natation, cette Mexicaine est en charge de la santé au travail à l'Institut syndical européen. Elle a bien besoin de son endurance pour que l'Europe ne recule pas sur la prévention.
C'est une femme qui, depuis avril 2013, a la responsabilité de l'unité conditions de travail, santé et sécurité de l'Institut syndical européen (European Trade Union Institute, Etui), la structure d'expertise de la Confédération européenne des syndicats établie à Bruxelles. Une femme jeune (41 ans), une juriste spécialiste des nanotechnologies, une personne discrète peu encline à porter haut et fort la parole militante. Aída Ponce Del Castillo n'est pas arrivée à ce poste sous les meilleurs auspices. Marqué par la "chasse à la paperasserie", le programme de "simplification administrative" engagé par la Commission Barroso menace de bousculer l'actuelle réglementation européenne en matière de santé au travail. Et l'évaluation en cours, portant sur l'efficacité et la performance des directives et règlements en santé et sécurité au travail, fait craindre à Aída Ponce Del Castillo un avenir difficile : "Même si l'Europe réaffirme dans son discours la priorité donnée à ce sujet, il faut se battre pour maintenir cette priorité face à des intérêts plus forts, économiques notamment", estime-t-elle.
Marathons en eau libre
Pour se battre, elle ne manque ni d'énergie ni d'endurance. Il faut dire que cette ancienne championne de nage en eau libre a participé à de grands marathons internationaux : les 36 km du Capri-Naples en Italie, les 19 km du Jarak-Sabac en Serbie, ou encore les 24 km d'Utrecht en Hollande, où elle a décroché la première place. Sans compter les médailles glanées dans différents championnats mondiaux. "Avoir été nageuse en eau libre, cela marque ma vie sous tous ses aspects", résume-t-elle. La jeune femme a aussi été la première Mexicaine à avoir traversé le détroit de Gibraltar à la force des bras et des jambes. Aída Ponce Del Castillo est en effet née loin du Vieux Continent. Ce qui, aux yeux de Laurent Vogel, auquel elle a succédé à la tête de l'unité, constitue un atout : "Qu'une personne ayant passé une large partie de sa vie en Amérique latine soit à la tête d'une équipe qui se consacre à la santé au travail en Europe a du sens. Elle apporte un autre regard, une vision des conditions de travail dans le reste du monde, où les multinationales européennes exportent leurs risques."
Fille d'un père journaliste et d'une mère architecte, issue d'une famille dont beaucoup de membres ont un lien avec l'aéronautique - sa grand-mère a été la première pilote d'avion au Mexique dans les années 1930 -, Aída Ponce Del Castillo a fait des études de droit à Mexico. Pendant son cursus, elle travaille dans un cabinet juridique social prodiguant gratuitement des conseils. Alors âgée de 20 ans, elle se confronte à la dureté du réel, les crimes, les viols, les violences conjugales. Sa vie professionnelle commence pourtant dans un tout autre monde : le secteur financier. La voilà jeune avocate d'affaires, spécialisée dans les marchés à terme, une activité qu'elle exerce ensuite quelque temps en Argentine. "Nous négociions des contrats sur des produits qui n'existaient pas encore et leurs bénéfices futurs ! Intéressant mais virtuel", se souvient-elle.
Traversée de l'Atlantique
Suit une période de transition quand elle revient au Mexique. Un ancien professeur lui conseille de faire de la recherche. Le débat sur le clonage de la brebis Dolly lui fournit son sujet. "Je trouvais important d'aborder du point de vue du droit les nouvelles technologies susceptibles de modifier la nature de l'homme, car elles soulèvent beaucoup de questions d'ordre à la fois éthique et légal", commente-t-elle. Début 2000, elle obtient un master en bioéthique, portant sur la génétique humaine et les cellules souches. Parallèlement, la commission Santé du ministère de l'Intérieur mexicain fait appel à elle en tant que consultante concernant les lois sur les cellules souches et le génome humain. L'opportunité de collaborer avec un professeur de droit renommé, expert de la bioéthique, la conduit en 2004 à traverser l'Atlantique. Elle prépare un doctorat européen, passant deux ans à Valence (Espagne) pour la partie juridique sur les modifications génétiques et deux ans à Bonn (Allemagne) dans le cadre d'un cursus interdisciplinaire sur le développement durable
C'est une nouvelle frontière, belge cette fois, qu'elle franchit lorsqu'elle est recrutée comme chercheuse senior à l'Institut syndical européen, en charge des questions d'éthique et de droit sur les nanotechnologies et leurs enjeux pour les travailleurs. "Il y a un dénominateur commun entre les manipulations génétiques, les nanomatériaux et autres nouvelles technologies : tous posent une forme d'inconnu sur le devenir de l'être humain", explique-t-elle. Pour Laurent Vogel, la chercheuse a trouvé sa place : "Elle a été remarquée pour son travail où elle s'interroge sur les avancées scientifiques, leur impact sur la société et la façon dont ces évolutions doivent être régulées du point de vue légal. Son parcours la rend compétente pour faire de la recherche sur les nanotechnologies, où les données sont très parcellaires. Ayant étudié le droit, la philosophie, les sciences, elle est à l'aise avec l'idée de faire dialoguer des experts de disciplines différentes, ce qui est une exigence pour la santé au travail."
C'est aujourd'hui d'autres responsabilités qu'elle affronte. A l'heure où se négocie le traité transatlantique de libre-échange1 , il lui tient à coeur de maintenir le standard européen de protection des travailleurs, voire de l'améliorer. Les risques émergents, notamment ceux liés à la digitalisation du monde du travail et aux nouvelles formes de précarité qui en découlent, comme ceux qui relèvent de la robotisation introduisant une nouvelle relation homme/machine, transforment la demande de connaissances en santé au travail. "C'est quelqu'un qui réfléchit beaucoup à la façon d'aborder les enjeux de la santé-sécurité au travail dans le contexte actuel de démantèlement d'un certain nombre de dispositifs en la matière, témoigne Marc Sapir, l'ancien directeur du département. Pour cela, elle cherche à connaître l'expérience des autres afin de comprendre comment ont été construites les avancées antérieures."
"Ouvrir plus largement nos portes"
Aída Ponce Del Castillo n'a pas la même culture militante que ses prédécesseurs. Elle affirme qu'elle n'est pas une "chercheuse activiste", qu'elle n'aime pas ce genre d'étiquette. Tenant à son indépendance d'esprit, elle se dit animée de convictions personnelles. La défense des droits humains, c'est ce qui l'intéresse depuis toujours, comme la justice sociale. Elle juge par ailleurs que le petit cercle de la santé au travail tourne trop sur lui-même : "Nous ne dialoguons pas assez avec l'extérieur, c'est une faiblesse. Il faudrait ouvrir plus largement nos portes à d'autres acteurs du monde social et instituts de recherche. Et il faudrait s'assurer de disposer de moyens suffisants, notamment financiers, pour mener une recherche de qualité. Cela me paraît indispensable pour faire avancer les choses." Non seulement les experts de la santé au travail sont les mêmes depuis trente ans, mais elle s'inquiète de voir que cette génération, qui laisse une empreinte forte, n'a guère d'héritiers : "C'est aussi ma mission de trouver les talents de demain, qui vont continuer leur travail et ouvrir, j'espère, de nouvelles perspectives..."
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Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP), que l'Union européenne négocie actuellement avec les Etats-Unis. Voir "Les règles sur la santé au travail sont menacées", interview d'Aída Ponce Del Castillo parue dans Santé & Travail n° 88 (octobre 2014).