Alain Supiot, défenseur d’un « travail réellement humain »
Le bon moment ! En pleine saison 2 du confinement, alors qu’à la crise sanitaire vient s’en ajouter une autre, économique et sociale, c’était le bon moment pour accueillir dans nos colonnes ce penseur du droit social qu’est Alain Supiot. A l’heure où le travail n’offre plus la garantie d’échapper à la pauvreté, où la précarité gangrène nos sociétés, où des formes modernes d’esclavage ressurgissent, il est salvateur de pouvoir retrouver des repères de droit. Et pour cela, quoi de mieux qu’un échange avec ce juriste mondialement connu et reconnu, professeur émérite au Collège de France, fondateur en 2008 de l’Institut d’études avancées de Nantes, membre de la commission mondiale pour l’avenir du travail au sein de l’Organisation internationale du travail (OIT) ?
Sa production intellectuelle est particulièrement nourrie, avec des ouvrages et publications qui font toujours référence chez les juristes en droit social, les responsables politiques et syndicaux préoccupés de justice sociale. Parmi les livres qu’il a écrits, on retiendra notamment L’esprit de Philadelphie : La justice sociale face au marché total, publié aux Editions du Seuil en 2010, La gouvernance par les nombres, paru chez Fayard en 2015, Le travail au XXIe siècle, publié sous sa direction aux Editions de l’Atelier en 2019, et Le travail n’est pas une marchandise ; contenu et sens du travail au XXIe siècle, paru aux Editions du Collège de France en septembre 2019.
Humaniste, très critique sur l’évolution néolibérale des sociétés occidentales et ses conséquences néfastes pour les travailleurs et la cohésion sociale, Alain Supiot cite souvent la philosophe Simone Weil ou le syndicaliste italien Bruno Trentin. « Le reflux des rapports de droit laisse le champ libre aux rapports de force », écrit-il dans son discours de clôture au Collège de France. Fervent défenseur de la Déclaration de Philadelphie qui, en 1944, a redéfini les buts de l’OIT, Alain Supiot estime que les défis écologiques, technologiques et institutionnels que doivent relever nos sociétés sont l’occasion de promouvoir un « travail réellement humain », pour que « les travailleurs soient employés à des occupations où ils aient la satisfaction de donner toute la mesure de leur habileté et de leurs connaissances et de contribuer le mieux au bien-être commun », selon la définition gravée dans le marbre des droits fondamentaux de l’organisation onusienne. Cela permettrait à chaque travailleur de retrouver le sens du travail et la dignité qui va avec, qui font tant défaut aujourd’hui, marquant un nouveau départ pour la justice sociale.