Alerte sociale à La Poste sur les conditions de travail
Face à la forte dégradation des conditions de travail de ses agents, de plus en plus médiatisée, la direction de La Poste ouvre des négociations fractionnées et annonce un nouveau plan santé au travail. Pas sûr que ces initiatives soient à la hauteur.
Sous-effectifs chroniques, contraintes supplémentaires, épuisement professionnel... La dégradation des conditions de travail à La Poste serait générale et toucherait tous les métiers. Fin octobre, la direction a annoncé le lancement d'une négociation sur le sujet, mais uniquement pour les facteurs et leur encadrement. Une initiative jugée insuffisante. "La direction cherche à éteindre les feux et ne veut pas afficher qu'elle prend la mesure de la crise sociale", estime Alain Le Corre, membre du bureau de la Fédération des activités postales et de télécommunications, Fapt-CGT. Lors de la journée de grève nationale du 8 décembre dernier, la CGT, Sud-PTT et l'Unsa ont réclamé l'ouverture de la négociation à l'échelle du groupe et à tous les métiers (253 158 salariés en 2015). Parallèlement, la CFE-CGC et la CFDT mènent des discussions bilatérales pour obtenir des améliorations dans certains secteurs. Par exemple, pour les centres de tri, la CFDT a obtenu l'ouverture d'une négociation spécifique début 2017 sur leurs risques propres : station debout prolongée, manutention, gestes répétitifs, horaires décalés...
Débrayages, actions citoyennes
La grève du 8 décembre a couronné une année de mobilisations sans précédent des postiers dans toute la France. Outre des débrayages contre les suppressions d'emplois et des actions citoyennes contre la fermeture de bureaux de poste, on compte une centaine de grèves, parfois très longues - six mois à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales). A l'automne, les effets des réorganisations sur la santé des agents ont été médiatisés après une série d'événements : le suicide d'un facteur à Pontarlier (Doubs), la publication d'une lettre ouverte d'experts indépendants sur le déni de la direction face aux risques, la tentative de suicide d'une factrice à Montpellier (Hérault).
En interne, les médecins du travail ont aussi sonné l'alarme. "Il semblerait que nos alertes finissent par être un peu entendues, puisque la direction présente un nouveau plan santé au travail", témoigne l'un d'entre eux sous couvert d'anonymat. "La direction semble s'apercevoir avec horreur de ce qui se passe sur le terrain, poursuit-il. Des cadres de tous niveaux ont été obligés, ou se sont sentis obligés, de pratiquer un management assez brutal pour faire passer les réorganisations. On a même privilégié la promotion des personnes ayant peu d'états d'âme... Le siège commence à se rendre compte que c'est allé trop loin." Les praticiens, qui ont encore en mémoire la crise de 2010-2012, attendent avec impatience la mise en oeuvre dudit plan santé au travail. "Sur le papier, il semble ambitieux. Je crois que le procès France Télécom leur fait peur !", considère le même médecin.
Malaise généralisé
En attendant, les représentants du personnel sont sur la brèche. "Les sous-effectifs sont criants", déplore Elodie Caron, factrice et secrétaire Sud-PTT Hérault. Elle a lancé, après la tentative de suicide de l'employée montpelliéraine, une alerte sociale qui met en évidence le malaise généralisé. Et dénonce en particulier le fait que les effectifs sont calculés au plus juste et ne tiennent pas compte de l'absentéisme (6,6 %), alimenté en partie par des congés pour longue maladie. Ni des vacances de postes faisant suite à des départs en retraite.
Pour les facteurs et leurs encadrants, les conditions de travail sont devenues "très difficiles depuis quelques années", constatent les médecins du travail. Notamment parce que la charge de travail est évaluée sur la base de la "baisse anticipée du trafic du courrier". Les tournées sont "sous-dimensionnées par le logiciel "Méthode au courrier"", affirment la CGT et Sud-PTT. Le logiciel sous-estime le temps nécessaire au stationnement selon les règles du code de la route, la montée et la descente du véhicule plus de 250 fois par jour, la marche jusqu'à la boîte aux lettres, et lisse certaines tâches sur la semaine - distribution de la publicité et de la presse, entretien et réparation des véhicules. Si la tournée dépasse le temps imparti, les heures supplémentaires ne sont pas forcément payées. L'Inspection du travail commence à se pencher sur ce problème. Et La Poste a été mise en examen pour travail dissimulé par le tribunal de grande instance de Besançon en octobre dernier, dans le cadre d'une affaire remontant à 2010.
L'organisation du travail sur cinq jours au lieu de six a eu aussi pour effet de rallonger les tournées. Ce changement s'est accompagné de la suppression de la pause quotidienne rémunérée de vingt minutes que prenait le facteur entre le tri et sa tournée. Elle a été remplacée par une autre pause "méridienne" pendant la tournée, de trois quarts d'heure et non rémunérée. Pour les facteurs concernés, l'accord en discussion dans le cadre des négociations sur les conditions de travail prévoit certes une prime de 150 euros par an. Une compensation bien maigre. D'autant qu'il est souvent difficile de trouver un endroit et un moment pour se reposer dans de bonnes conditions lors des tournées, calculées au plus juste.
Les cadres du courrier aussi, souligne Alain Le Corre, sont "vent debout contre le projet d'accord sur les conditions de travail, dont les termes n'ont jamais été discutésLe problème majeur du service, c'est que les cadres de proximité deviennent les supplétifs des agents de terrain". En principe, les "facteurs qualité" - chefs d'équipe - consacrent 70 % de leur temps au terrain et 30 % aux ajustements du dimensionnement des tournées. En raison des sous-effectifs, ils se retrouvent à 100 % sur le terrain.
Pression sur les objectifs
Les bureaux de poste également sont désorganisés "du fait du manque de personnel", indique Elodie Caron. Les intérimaires sont formés sur le tas par des agents qui doivent en même temps gérer le flux de clients. "Tout le monde s'agace, et les incivilités et les agressions explosent", relate-t-elle. "L'encadrement de proximité n'en peut plus non plus", avance Claude Quinquis, du bureau de la Fapt-CGT. Les guichetiers, rebaptisés "chargés de clientèle", subissent une intense pression sur les objectifs commerciaux attachés aux différents produits : assurance, mobile, carte de crédit. Certains se posent des questions éthiques quant à l'utilisation du logiciel Cap client 3.0, qui analyse les habitudes de consommation des clients pour proposer des produits bancaires adaptés. Ils sont par ailleurs mis en concurrence via des débriefings hebdomadaires sur leurs résultats. "Les managers appellent tous les soirs pour connaître leurs chiffres de la journée", note Elodie Caron.
A cette pression générale "s'ajoute une refonte intégrale des organigrammes de la Banque postale au 1er janvier 2016", précise Cathy Fabre, déléguée du personnel CFE-CGC. Son organisation mène une négociation bilatérale pour améliorer la fiche de poste des responsables clientèle particuliers, largement cantonnés à la vente en raison de l'absentéisme au guichet. Concernant les cadres, la CGT plaide, elle, pour l'ouverture d'une négociation globale, afin que "les règles soient les mêmes partout, que la mobilité puisse exister entre les différents métiers"