Amiante : un " glissement de terrain " décisif
La crise de l'amiante s'impose au milieu des années 1990 à la une de l'ensemble des médias d'information et contraint les principaux acteurs politiques à prendre des décisions. Selon une analyse répandue, ce problème est apparu dans la sphère publique parce qu'il a été mis fin à une conspiration du silence fomentée par les industriels. Or cette émergence correspond avant tout à une redéfinition de la question en termes environnementaux. Tant que l'amiante représente un danger apparemment cantonné dans le champ du travail, comme c'est le cas jusqu'au milieu des années 1990, peu de journalistes songent à en faire une préoccupation de premier plan. A l'inverse, quand le risque apparaît toucher une population au-delà du terrain professionnel, il devient pour eux un objet d'intérêt. Ainsi, en 1995-1996, les affaires qui focalisent leur attention sont la contamination du site de Jussieu ou la présence d'amiante dans les locaux scolaires, notamment à travers les mobilisations d'enseignants ou de parents d'élèves. Durant cette période de forte exposition médiatique, les aspects professionnels du problème deviennent publiquement périphériques et ne retrouvent droit de cité que progressivement, avec le suivi des nombreux procès pour faute inexcusable. Ce paradoxe explique que la publicité donnée à l'amiante n'ait pas conduit à une meilleure exposition publique des autres enjeux de santé au travail.