Amiante : les ministères sociaux pris en défaut de prévention
Un récent rapport de l’Igas montre que les ministères du Travail et de la Santé n’appliquent pas les mesures de prévention obligatoires face à l’amiante présent dans leurs locaux. Une situation à risques, dans des administrations pourtant censées donner l’exemple.
A Nantes, en 2019, une centaine d’agents de la direction régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (Direccte) ont dû quitter les locaux qu’ils occupaient dans la Tour Bretagne, en raison de l’amiante présent dans les clapets coupe-feu du bâtiment. A Rouen, en 2020, les inspecteurs du travail et autres agents de la Direccte installés dans la Cité administrative ont eux aussi déménagé, après la découverte d’amiante dans l’édifice. Relogés à Rouen au sein de l’immeuble Hastings, ils ont dû de nouveau évacuer leurs bureaux et passer en télétravail en octobre 2022 : une entreprise chargée de retirer des dalles amiantées dégradées présentes dans le bâtiment avait commencé les travaux sans aucune des mesures de protection obligatoires…
Depuis plusieurs années, le CHSCT du ministère du Travail alerte sur la présence d’amiante dans les locaux occupés par les agents et dénonce un déni du danger auquel ils sont exposés… dans une administration censée garantir l’application des mesures de prévention prévues en la matière. Un comble ! Ces craintes ont été confirmées par un récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), présenté au CHSCT en novembre. Ce rapport a été rédigé par quatre inspecteurs en santé et sécurité au travail (ISST), chargés de contrôler l’application de la réglementation sur la prévention du risque amiante dans les ministères sociaux, c’est-à-dire celui du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion et celui des Solidarités et de la Santé.
Des obligations respectées une fois sur quatre
Entre 2019 et 2021, les quatre ISST ont contrôlé 230 sites sur un total de 365, soit 246 bâtiments, dont 128 abritant des Direccte, 85 des agences régionales de santé (ARS) et 22 des établissements publics administratifs (EPA). Sur ces 246 bâtiments, 216 (88 %) ont été construits avant 1997, avant l’interdiction de l’utilisation de l’amiante en France. Ils doivent dès lors faire l’objet de mesures de prévention prévues par la loi, relatives à la fibre cancérogène. Le constat est alarmant : au total, dans plus de 74 % des structures, les obligations réglementaires ne sont pas respectées ! Et ce n’est pas faute d’en avoir informé les chefs de service concernés : en 2011 et en 2013, les ISST leur avaient déjà transmis des courriers d’information.
Dans leur rapport, les ISST déplorent globalement « une large méconnaissance de la réglementation » et « une mise en application qui pourrait être plus significative compte tenu des enjeux ». Une formulation pudique car, comme ils l’écrivent, « près de 23 % des 219 bâtiments construits avant 1997 ne disposent pas d’un dossier technique amiante (DTA) », pourtant obligatoire, et ces DTA, quand ils existent, sont généralement (à 51 %) « incomplets ou non actualisés ». Dans de nombreux cas, les documents uniques d’évaluation des risques professionnels (DUER), eux aussi obligatoires, « ne sont pas actualisés pour le risque amiante » et ne comprennent pas en annexe les DTA, notent aussi les ISST. Quant aux obligations d’évaluation régulière des matériaux ou produits contenant de l’amiante (MPCA), elles « ne sont que très minoritairement respectées », et les représentants du personnel membres des CHSCT ou des commissions santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) ne sont pas « systématiquement informés » de leur présence.
Risque cancérogène
« La situation reste catastrophique, alors même que nous parlons d’un cancérogène sans seuil, dont les risques sont bien connus. Si nous-mêmes nous ne sommes pas exemplaires, comment peut-on dire aux entreprises et à leurs salariés ce qu’ils doivent faire ? », réagit Gérald Le Corre, secrétaire du CHSCT du ministère du Travail, inspecteur du travail et responsable des questions de santé au travail à la CGT de Seine-Maritime. En novembre 2021, c’est lui qui avait opéré un signalement de danger grave et imminent pour l’immeuble Hastings, à Rouen, après avoir constaté la présence de dalles amiantées dégradées dans un escalier utilisé par les agents comme par le public.
Interrogée par Santé & Travail, la direction des ressources humaines (DRH) des ministères sociaux n’a pas donné suite. Pas plus que l’Igas. Le CHSCT du ministère du Travail a, lui, salué les quelque 900 recommandations formulées par les ISST mais demande à la DRH d’aller plus loin : les élus du personnel attendent qu’un véritable plan d’action soit élaboré et présenté par l’’employeur en janvier.