Amiante : un projet de fusion à hauts risques
Le gouvernement envisage de réunir le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) et l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam)… Pour faire des économies. Mais cette perspective suscite une levée de boucliers.
Ils ont leurs bureaux dans le même bâtiment, à Montreuil, en Seine-Saint-Denis. Ils partagent, selon le ministre de la Santé, Olivier Véran, « une mission commune » : « la réparation intégrale du dommage corporel et l’indemnisation des victimes », ainsi que des « modalités de fonctionnement ». Cela suffit au gouvernement pour projeter le rapprochement du Fonds d’indemnisation pour les victimes de l’amiante (Fiva) et de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam).
En décembre dernier, les ministères de la Santé et du Budget ont missionné l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances (IGF) pour évaluer les modalités de ce rapprochement. Deux scénarios étaient à l’étude : une fusion limitée à la mutualisation des fonctions support ou un « rapprochement plus étroit », « dans le respect de leurs gouvernances respectives », toujours selon les mots d’Olivier Véran. La mission a rendu son rapport en février mais le gouvernement ne l’a pas rendu public. On ne sait donc pas quel scénario sera choisi. Quant aux directeurs du Fiva et de l’Oniam, respectivement Pascale Romenteau et Sébastien Leloup, contactés par Santé & Travail, ils n’ont pas souhaité s’exprimer sur le sujet.
Unanimité contre le projet
Depuis trois mois, ce projet suscite néanmoins une levée de boucliers massive. Les associations de victimes de maladies professionnelles ou d’accidents du travail et les organisations syndicales CFDT, CGT, CFTC et CFE-CGC, membres du conseil d’administration du Fiva, se déclarent « ouvertes à l’étude de la mutualisation de certaines fonctions support » mais « catégoriquement opposées à une fusion ». « Mettre ainsi deux têtes sous le même chapeau aurait pour effet non pas d’améliorer le fonctionnement, mais de le rendre plus lourd et plus complexe. Avec pour conséquence une dégradation prévisible des conditions d’indemnisation », estiment-elles dans une déclaration commune.
Auditionnée en janvier par l’Igas-IGF, l’association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva) rejette toute idée de fusion-dilution entre deux organismes aux spécificités bien établies, dont l’un fonctionne bien tandis que l’autre est à la dérive. « Le Fiva a été créé en 2000 pour apporter une indemnisation simple et rapide aux victimes de la plus grande catastrophe sanitaire que la France ait jamais connue. Il a réussi à réduire considérablement les délais d’instruction et d’indemnisation [bien en-deçà de quatre mois, quand la loi en prévoit six maximum, NDLR] », rappelle Alain Bobbio, secrétaire national de l’Andeva, et ce avec une « rigueur de gestion exemplaire ». Au long de ses vingt années d’existence, le Fiva a ainsi indemnisé environ 100 000 victimes à hauteur de 6 milliards d’euros, soit en moyenne 300 millions d’euros versés par an.
De son côté, l’Oniam a été créé en 2002, « pour apporter une indemnisation simple et rapide aux victimes d’accidents médicaux, d’infections iatrogènes et nosocomiales, mais aussi aux victimes du Mediator, de la Dépakine… », indique Alain Bobbio. Non centralisé, réparti entre vingt-trois commissions, le traitement des dossiers est long, avec des délais de plusieurs années pour obtenir une indemnisation. L’Oniam est depuis 2017 sous le coup d’un plan de redressement à la suite de sévères critiques de la Cour des comptes, dénonçant un taux élevé de rejet des dossiers, des délais très longs ainsi que des défaillances dans la gestion des fonds publics. « Le Fiva n’a pas vocation à régler les problèmes de l’Oniam », estime Alain Bobbio.
Inquiétude des parlementaires
De nombreux parlementaires aux étiquettes politiques variées – comme Céline Brulin, sénatrice PC (Seine-Maritime), Emmanuelle Antoine, députée Les Républicains (Drôme), ou encore Nicole Bonnefoy, sénatrice PS (Charente) – ont multiplié les questions au gouvernement pour exprimer leur inquiétude. Christian Hutin, député du Nord (PS) et président du groupe d'études « Amiante » à l’Assemblée nationale, martèle que les « deux établissements n'ont ni le même financement, ni le même mode de traitement des dossiers, ni les mêmes critères d'indemnisation ». Des différences qui rendent la fusion inopportune, sauf à vouloir faire disparaître à bas bruit la question de l'amiante et de ses innombrables victimes.
Dans un communiqué du 9 avril, la confédération FO, elle aussi membre du CA du Fiva, pointe un autre problème : « Le Fiva est principalement financé par une dotation de la branche accidents du travail et maladies professionnelles qui repose sur une cotisation des entreprises, alors que l’Oniam l’est par la branche maladie reposant ainsi sur tous les assurés sociaux. (…) Un rapprochement des financements conduirait à faire peser sur l’ensemble des assurés sociaux, l’indemnisation des travailleurs exposés à l’amiante. »
Administrateur du Fiva pour l’Andeva, Serge Moulinneuf rappelle que « la création du Fiva a été une avancée sociale considérable. Les associations de victimes des autres pays nous l’envient. Sa disparition comme organisme indépendant, sa dilution dans une fusion-absorption serait vécue par les victimes de l’amiante et leurs proches comme une régression, un moyen de les invisibiliser ». Or le drame de l’amiante n’appartient pas au passé : le Fiva reçoit toujours près de 19 000 demandes d’indemnisation par an pour des pathologies qui réduisent drastiquement l’espérance de vie et dont l'origine professionnelle est établie.