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Un appel aux dons pour financer la recherche sur les cancers professionnels

par Corinne Renou-Nativel / 04 mars 2025

Un collectif de chercheurs et de militants vient de créer le fonds de dotation Agir contre les cancers du travail (ACCT). Avec l'objectif de pallier les lacunes du système actuel de financement et de permettre une meilleure prévention.

Les chiffres sont éloquents. En 2024, la commission présidée par un magistrat de la Cour des comptes et chargée d'évaluer la sous-déclaration des maladies professionnelles (art. L176-2 du Code de la Sécurité sociale) a estimé que 69 600 à 102 100 cas de cancers sont attribuables à l’activité professionnelle, alors que seulement 2680 cas ont été reconnus et indemnisés dans le régime général, en 2022 (dernière année connue). 

Pour rendre ces cas visibles, encourager leur reconnaissance en maladie professionnelle et favoriser la prévention, un collectif de chercheurs, de médecins et d’acteurs de la santé au travail vient de créer le fonds de dotation Agir contre les cancers du travail (ACCT). Son lancement s’accompagne d’un appel à dons et à legs pour lever des fonds qui financeront des projets de recherche.

Contourner le désintérêt des institutions

Le sujet suscite habituellement peu d’intérêt. « La plupart des institutions qui financent la recherche sur le cancer ne s'intéressent pas du tout au rôle du travail dans leur survenue, explique Annie Thébaud-Mony, présidente de l’association Henri Pézerat Travail, santé, environnement. En vingt ans d’existence, l'Institut national du cancer n’a lancé qu’un seul appel à projet sur les cancers professionnels. » Annie Thébaud-Mony est également chercheuse aux Groupements d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle (Giscop 93 et Giscope 84) qui suivent des cohortes de patients atteints de cancer et retracent leur parcours. Leur démarche de recherche-action a une triple finalité : connaître le travail exposé aux cancérogènes, prévenir les cancers induits par l’activité professionnelle et contribuer à l’accès aux droits de la réparation des atteintes liées au travail.

Le projet de création du fonds ACCT est né d’une double réflexion issue de chercheurs souhaitant élargir les sources de financements de leurs travaux, ainsi que d’associations de victimes (amiante, pesticides, etc.). Des chercheurs en santé au travail comme les sociologues Moritz Hunsmann et Zoé Rollin, les juristes Loïc Lerouge et Martine Le Friant, la médecin de santé publique Michèle Vincenti, co-créatrice du Giscop 93, ainsi que des militants associatifs comptent parmi les membres du collectif.

ACCT est destiné à financer les recherches des Giscop et à soutenir l’essaimage de la démarche. « Il s’agit de briser l’invisibilité des cancers professionnels, souligne Annie Thébaud-Mony. Les résultats de l'enquête "Surveillance médicale des risques" (Sumer) montrent qu'en 2017, entre deux et trois millions de salariés du secteur privé étaient exposés à des cancérogènes dans la dernière semaine travaillée. Ce sont des chiffres extrêmement inquiétants du point de vue de la survenue de cancers dans le futur. » Selon l’Agence européenne de sécurité et santé au travail, la proportion de travailleuses et travailleurs européens exposés a atteint 47,3% en 2023. Les cancers hématologiques, du pancréas, du sein et de la prostate ne cessent d’augmenter.

Encourager une recherche au long cours

Le fonds de dotation a un rôle d’autant plus essentiel à jouer qu’actuellement, l’octroi de financements pour des recherches à court terme devient la norme. « Quand vous déposez un projet de recherche, il vous est donné deux ans, trois ans dans les meilleurs cas, relève Annie Thébaud-Mony. Mais l'enquête a souvent besoin de durer bien au-delà. Ainsi du suivi de la reconnaissance en maladie professionnelle, avec parfois des décisions qui tombent entre 10 et 15 ans après la déclaration. Avec une recherche en trois ans, vous ne pouvez jamais analyser les processus à l’œuvre dans ce type de phénomène. »

La répartition des fonds récoltés sera décidée par un conseil constitué d’une vingtaine de personnalités. « Y sont représentées toutes les disciplines qui construisent la démarche de recherche du Giscop, indique la chercheuse. Mais il est élargi aussi aux militants associatifs qui ont leur mot à dire en tant que premières victimes et premiers concernés. Notre objectif, c'est la possibilité d'avoir une réflexion qui allie rigueur scientifique et expérience des collectifs – associatifs ou syndicaux – agissant pour une meilleure connaissance et reconnaissance des cancers dus au travail. »

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