Des apprentis bientôt privés de médecine du travail ?
Dans le projet de loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel, les députés ont prévu de déléguer aux médecins de ville une partie du suivi médical au travail des apprentis. Une mesure dénoncée par le Sénat et des acteurs de la santé au travail.
Permettre aux médecins généralistes d’assurer le suivi médical des apprentis : c’est ce qu’ont proposé des députés Les Républicains en juin, dans le cadre du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Défendue par la ministre du Travail, puis retoquée début juillet par les sénateurs, cette mesure a été réintroduite lundi dernier à l’Assemblée nationale, cette fois à la demande de 38 députés La République en marche (LREM), dont Charlotte Lecocq, en charge d’une mission sur la santé au travail, et Richard Ferrand, responsable du groupe parlementaire.
Cette mesure, adoptée sous forme d’amendement, consiste à confier la visite d’information et de prévention pour les apprentis à un médecin de ville, si aucun professionnel de santé au travail n’est disponible pour l’assurer dans le délai de deux mois prévu par la loi. Les élus LREM avancent l’argument d’une simplification, censée faciliter l’embauche des apprentis et désengorger les services de santé au travail. Le 10 juillet dernier, la commission des Affaires sociales du Sénat s’est opposée à cette mesure, en rappelant l’importance d’un suivi médical assuré par des spécialistes des risques professionnels. Et les sénateurs ont rejeté l’amendement lors de leur premier examen du projet de loi.
Une population à risque
Ils ont ainsi calmé les inquiétudes de certains organismes de santé au travail, mobilisés depuis fin juin. La Société française de médecine du travail a ainsi rappelé dans un communiqué que les 400 000 apprentis représentent « une population à risque et en cours de formation », qu’ils sont « plus sujets aux accidents de travail » et ne connaissent pas encore « les effets des risques auxquels ils sont exposés et les moyens de s’en prémunir ». La fragilité des jeunes travailleurs et l’urgence à les protéger ont d’ailleurs été des messages forts de la dernière Journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail (voir notre article). Pour la SFMT toujours, les décisions médicales concernant les apprentis sont aussi importantes, « notamment en matière d’orientation professionnelle en fonction de leur état de santé et des risques inhérents à la profession future ». Et elles nécessitent « une bonne connaissance des risques professionnels et du monde du travail ».
Certes, les apprentis de moins de 18 ans et ceux exposés aux travaux dits dangereux bénéficieront toujours d'une visite médicale d'aptitude (VMA) et non d'une simple visite d'information et de prévention. Ils ne sont donc pas concernés a priori par la mesure. Mais celle-ci s’inscrit dans un contexte où les protections dont bénéficient ces jeunes ont déjà été réduites. Les règles concernant leur affectation à des travaux dangereux ont ainsi été assouplies en mai 2015. Ils peuvent y être exposés, dès lors que l’employeur effectue une simple déclaration auprès de l'Inspection du travail. Un apprenti peut aussi désormais utiliser sans autre forme procédure des échelles, escabeaux, harnais, engins de levage et de manutention...
Expérimentation sur trois ans
Si la mesure est définitivement votée, elle sera expérimentée pendant trois ans, et le gouvernement devra présenter un rapport d’évaluation au Parlement au plus tard en octobre 2021. Elle constitue néanmoins un « précédent » concernant le transfert de compétences relevant de la médecine du travail selon Presanse (ex-Cisme), organisme qui regroupe 240 services de santé au travail interentreprises, lequel s’est aussi inquiété des questions posées pour la santé des apprentis. Après son passage en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, le texte repassera devant les sénateurs le 30 juillet, avant une adoption définitive par l'Assemblée, où la majorité LREM aura le dernier mot.