Les arrêts de la Cour de cassation sur l'Acaata déçoivent les victimes de l'amiante
La Cour de cassation a rendu, le mardi 11 mai, deux arrêts défavorables aux victimes de l'amiante, qui demandaient une indemnisation complétant la préretraite amiante (Acaata). En revanche, les juges ont reconnu un préjudice d'anxiété.
Quel avenir pour la préretraite amiante ? Le dispositif dénommé « Acaata » (allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante) permet à des salariés âgés de 50 ans de partir en préretraite avec 65 % de leur salaire jusqu'à l'obtention d'une pension de vieillesse à taux plein. Alors que depuis les années 2000 les juges avaient été plutôt bienveillants envers les victimes de l'amiante, la chambre sociale de la Cour de cassation vient de leur infliger un premier revers qui risque de leur casser le moral. Pour autant, la défaite n'est pas totale. Dans leur mauvaise conscience, les juges ont manifestement souhaité faire un geste.
Trop cher
Ce système, prévu à l'origine (1998) pour 6 000 personnes, a déjà bénéficié à 60 000 personnes, pour un coût total de 6 milliards d'euros entre 2000 et 2009. Il présente donc le sérieux inconvénient de coûter cher, alors qu'il n'existe plus de préretraite en France et qu'une politique de rigueur budgétaire se prépare. Les pouvoirs publics songent à le réformer, après trois rapports en ce sens (Igas, Cour des comptes, Sénat). Mais les victimes de l'amiante, dont l'espérance de vie est réduite, ne partagent pas ce point de vue et en redemandent. Elles appartiennent en grande majorité au monde ouvrier et, avec 65 % de leur salaire, n'ont pas le sentiment de bénéficier d'une préretraite dorée. D'où l'idée de saisir en masse les juridictions prud'homales de France et de Navarre et de demander une indemnisation complémentaire. Le raisonnement est le suivant : la cessation prématurée du travail a occasionné une perte significative de revenus que l'employeur doit indemniser. Pourquoi ? Parce qu'en exposant ses salariés à l'amiante, il a commis une faute qu'il doit réparer. En ne pouvant prétendre à un déroulement d'une vie professionnelle normale, ces salariés ont indéniablement subi un préjudice économique.
L'analyse a séduit deux cours d'appel - celle de Paris (18 septembre 2008) et celle de Bordeaux (7 avril 2009). Mais elle n'a pas convaincu la Cour de cassation, qui a cassé le mardi 11 mai les deux cours d'appel sur le volet du préjudice économique. Les juges du quai de l'Horloge ont manifestement été sensibles à un argument d'équité. Selon l'avocat général, Jacques Duplat, « il n'y aurait aucune raison de poursuivre une carrière normale, en l'absence de maladie, si la conjonction du bénéfice de l'Acaata et d'une décision de justice permettait d'abandonner la carrière et, enfin, d'obtenir judiciairement une indemnité de préjudice économique compensant spécifiquement l'abandon de carrière ». Bref, si le bénéfice de la préretraite amiante aboutit au final à obtenir, en saisissant le juge, un salaire plein, à quoi bon choisir de continuer à travailler ? La logique du dispositif légal, pour ne pas dire sa philosophie, interdit de demander la réparation de la perte de revenu résultant de la mise en œuvre de l'Acaata.
Préjudice économique vs préjudice d'anxiété
En revanche, la chambre sociale de la Cour de cassation a reconnu, pour la première fois à notre connaissance, un préjudice spécifique d'anxiété, qu'elle définit comme « une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante », sur laquelle se greffent les « contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse ». Ce préjudice, évalué à 7 500 euros par la cour d'appel de Bordeaux, est le seul à être sorti indemne des arrêts de la Cour de cassation. Faut-il y voir un lot de consolation ? Pas seulement, car son champ d'application s'étend bien au-delà des victimes de l'amiante : le préjudice d'anxiété pourra être plaidé à l'avenir pour toutes les contaminations, intoxications ou irradiations du fait des employeurs.
Déçu mais profondément déterminé, Jean-Paul Teissonnière, avocat des salariés dans les deux affaires, considère que la Cour de cassation « approfondit le processus de déresponsabilisation des entreprises qui ont impunément empoisonné des dizaines de milliers de salariés et dont l'indemnisation repose pour l'essentiel, non sur les employeurs responsables mais sur la branche accidents du travail ». L'avocat a fait savoir qu'il entendait continuer le combat devant les deux cours d'appel de renvoi. Rendez-vous est donc pris à Toulouse et à Paris devant une cour d'appel autrement composée.
Quant à l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva), qui n'est pas intervenue dans ces procès, elle salue la reconnaissance du préjudice d'anxiété, qui « ouvre de nombreuses portes et des possibilités nouvelles ». Elle ne change rien à ses priorités, parmi lesquelles figure en bonne place l'augmentation du montant de l'allocation de la préretraite.