Arrêts maladie : éviter les raccourcis
La Cour des comptes vient de chiffrer les économies qu’apporterait la suppression de l’indemnisation des arrêts de travail de moins de huit jours. Dans une tribune, Serge Volkoff réagit à cette piste évoquée par la haute juridiction.
La Cour des comptes a-t-elle, ou non, préconisé d’arrêter l’indemnisation des arrêts maladie les plus courts, pour réduire les dépenses de l’Assurance-maladie ? Un passage de son rapport du 29 mai a d’abord été lu ainsi, mais elle s’en est défendue dans un communiqué de presse, affirmant qu’elle avait juste chiffré les économies qu’apporterait telle ou telle mesure. Quoi qu’il en soit, c’est l’occasion de rappeler les dérives possibles des politiques « paramétriques » dans ce domaine, pour au moins deux raisons.
Le poids relatif des arrêts courts
La première est que, dans la masse des jours d’absence, les arrêts courts comptent très peu1 : les arrêts de plus de six mois représentent 44 % des indemnités journalières, alors que ceux de moins d’une semaine comptent pour 4 %. Or, d’une part, les maladies chroniques surviennent aujourd’hui alors que, bien souvent, les salariés sont encore en activité du fait notamment du recul de l’âge de la retraite ; d’autre part, grâce aux progrès médicaux, on meurt moins que jadis de certaines pathologies et l’on peut continuer de travailler ou reprendre plus rapidement son activité professionnelle… Mais non sans avoir des périodes de traitement, des rechutes, des coups de fatigue qui vont générer des arrêts. Si l’attention est tout de même polarisée sur les absences courtes, c’est en partie à cause des suspicions – très discutées2 -de tricherie ou de laisser-aller, mais aussi parce que ces arrêts courts, souvent inopinés, avec des dates de retour parfois différées, obligent à revoir au quotidien des répartitions de tâches, procéder à des remplacements, voire des recrutements provisoires, donc constituent des facteurs de perturbations. C’est largement une affaire d’effectifs et d’organisation, les pénalités financières n’y remédieraient guère.
L’impact négligé des conditions de travail
La deuxième raison est l’impact des conditions de travail sur les absences, bien au-delà des effets formellement reconnus, comme les accidents du travail ou maladies professionnelles : la présence de contraintes physiques ou psychosociales multiplie par trois ou quatre la probabilité de s’absenter3
, et contribue aussi à retarder les retours au travail, faute d’aménagements permettant de bien accueillir les convalescents.
Compte tenu de tout cela, une pression accrue sur les indemnisations peut avoir des effets contraires à l’objectif visé. Comme l’a établi un dossier 4
établi par le ministère de la Santé sur les délais de carence, « les salariés couverts durant le délai de carence n’ont pas de probabilité plus élevée d’avoir un arrêt dans l’année, mais ont des durées totales d’arrêt maladie significativement plus courtes ». Cela devrait inciter à ne pas écourter le débat social sur les arrêts maladie, et à ne pas forcément écourter… ces arrêts eux-mêmes.
- 1L’évolution des dépenses d’indemnités journalières. Revue de dépenses 2017, rapport de l'Igas, juillet 2017
- 2Dubois V., Lieutaud M. (2020) La « fraude sociale » en questions. Revue française de science politique, (Vol. 70)
- 3Inan C. (2013) Les absences au travail des salariés pour raisons de santé : un rôle important des conditions de travail, Dares Analyses n° 9
- 4Polack C. (2015) L’effet du délai de carence sur le recours aux arrêts maladie des salariés du secteur privé, Dossiers Solidarité et Santé n°58
Arrêts maladie : et si l'on soignait le travail ?, Mathieu Detchessahar, Santé & Travail, 7 décembre 2023