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Arrêts maladie : la prévention au lieu de la punition

par
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François Desriaux, rédacteur en chef
/ 25 juillet 2023

En annonçant vouloir « mettre fin à l’absentéisme maladie », le 19 juin dernier à l’occasion des Assises des finances publiques, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a oublié que l’augmentation des arrêts de travail était, en réalité, un phénomène1 inévitable. Elle est d’abord la conséquence de la progression du taux d’emploi ainsi que du recul de l’âge de la retraite.
Ce constat n’est pas nouveau. Déjà, en 2019, un rapport de trois experts, commandé par le Premier ministre, Edouard Philippe, le pointait. « Plus le nombre de travailleurs est élevé, plus le nombre de personnes susceptibles d’être en arrêt de travail est élevé. A l’inverse, la hausse du taux de chômage a un effet amplificateur sur la baisse du nombre d’indemnités journalières de courte durée », pouvait-on lire dans le document. De même, « le vieillissement de la population est un facteur clé puisque la durée des arrêts augmente avec l’âge ». Selon la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), citée dans ce rapport, « les personnes de 50 ans et plus représentent 1,45 million de bénéficiaires mais 3,1 milliards d’euros des montants indemnisés, en raison d’une durée moyenne d’arrêt maladie qui augmente avec l’âge ».

Explosion des risques psychosociaux

Faire la chasse aux abus en sanctionnant les médecins prescripteurs risque donc d’être aussi efficace qu’un cautère sur une jambe de bois. Ne serait-il pas plus judicieux de prévenir le risque de désinsertion professionnelle par la promotion d’un travail soutenable tout au long de la carrière professionnelle et de faciliter le retour le plus précoce possible dans l’emploi des salariés en arrêt prolongé ? Très souvent, l’intensification du travail, les effectifs calculés au plus juste, les contraintes de temps et de délais conduisent à la réintégrer des salariés pas encore complètement guéris. Or, dans de nombreux secteurs professionnels, on est encore loin de pouvoir aménager des situations de travail afin que la maladie et les traitements qui l'accompagnent n'interdisent ni la poursuite du parcours professionnel, ni l'épanouissement et l'efficience au travail.
Faciliter le retour d’un salarié après une longue absence est un enjeu important aussi bien pour la personne que pour l'entreprise ; cela conduirait nécessairement à une amélioration des conditions de travail et de l’organisation au bénéfice de tout le monde, malades et valides.
Une autre cause de l’augmentation des arrêts de travail, qui a visiblement échappé au gouvernement, est celle de l’explosion des risques psychosociaux (RPS) dans les entreprises comme dans les trois fonctions publiques. Selon l’observatoire de l’absentéisme conduit par l’assureur Axa, « les risques psychologiques restent la première cause d’arrêt de travail de longue durée : ils représentent 22,2 % des arrêts survenus en 2022 ». Est également notée une hausse inédite des arrêts de travail chez les moins de 30 ans et chez les cadres, des populations généralement peu réputées pour abuser de l’absentéisme maladie. Et Axa de relever les enjeux de la prévention des atteintes à la santé mentale.

S’attaquer à l’organisation du travail

Toutefois, malgré les multiples priorités affichées dans la succession des plans santé au travail, la souffrance psychique des salariés et des agents, de même que les pathologies mentales, n’ont fait que croître depuis une trentaine d’années sous l’effet du travail pressé, de modes de management délétères dans le public comme dans le privé, de la standardisation des tâches, du contrôle renforcé du travail. Tout cela débouchant sur une perte de sens largement pointée à l’occasion du conflit sur les retraites.
Si un bâton doit être brandi, c’est d’abord en direction des entreprises elles-mêmes pour les obliger ou les inciter à mettre en place un véritable plan de prévention, et donc à s’attaquer au cœur du réacteur : l’organisation du travail et le management.
Pour commencer, il devient nécessaire et urgent de créer des tableaux de maladies professionnelles sur les atteintes psychiques afin de faciliter leur reconnaissance et leur prise en charge (y compris le coût des arrêts de travail) par la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) et non par l’Assurance maladie. Car le déficit de reconnaissance est considérable. Le rapport de la commission en charge de l’estimation de la sous-déclaration des maladies professionnelles estime que 110 000 pathologies psychiques devraient être reconnues chaque année et indemnisées alors que moins de 30 000 le sont dans le système actuel. Une reconnaissance des maladies professionnelles d’origine psychique plus en adéquation avec leur poids réel et une indemnisation plus proche de la réalité des préjudices subis par les victimes constitueraient une incitation plus forte des entreprises à prendre le problème à bras le corps.

Davantage de moyens financiers et humains

Ensuite, il faut les aider à agir sur le travail, son contenu, son organisation ; à améliorer la reconnaissance, l'autonomie décisionnelle, la régulation de la charge de travail ; à faciliter la coopération et le soutien des collègues et de la hiérarchie ; à se préoccuper du développement des compétences, de la justice organisationnelle, du partage de l'information ; à délibérer avec les salariés sur la qualité.
La bonne nouvelle, c’est que des expériences en ce sens ont eu lieu au Québec (voir cet article de Santé & Travail) et que cela a précisément donné des résultats aussi sur l’absentéisme. L’autre bonne nouvelle, c’est que l’accord national interprofessionnel sur la prévention au sein de la branche AT-MP, paraphé à l’unanimité par les partenaires sociaux le 15 juin, prévoit davantage de moyens financiers et humains pour cela. Reste au gouvernement à le mettre en œuvre par les voies les plus rapides. Ce sera plus efficace que la chasse aux arrêts.

  • 1Cet édito a été publié sous forme de tribune sur le site du quotidien Le Monde, le 19 juillet.