© Charles Monnier
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Les associations de victimes, une béquille indispensable

par Rozenn Le Saint / 24 avril 2025

Des collectifs de soutien s’appuient sur des juristes et des médecins pour accompagner les salariés malades de leur travail dans la reconnaissance de leur pathologie. Un rôle complémentaire à celui des syndicats. Sixième volet de notre dossier « Maladies professionnelles : soigner la reconnaissance ».

Le combat pour la reconnaissance d’une maladie professionnelle impose de maîtriser un triple jargon : médical, administratif et juridique. Seuls, les salariés se trouvent bien souvent démunis et les élus des comités sociaux et économiques (CSE) manquent parfois d’expertise pour les épauler dans les arcanes d’un processus très technique. Un troisième acteur peut alors prendre le relais : des associations d’aide aux victimes, qui s’appuient sur des juristes et des médecins pour accompagner les salariés dans leur demande d’indemnisation.

Quand une personne tombe malade a priori du fait de son travail, la première étape consiste à documenter son cas. L’Association de défense des victimes de l’amiante et des maladies professionnelles de l’Artois (Adevartois) soutient les victimes de la « fibre tueuse », mais aussi celles souffrant de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), de troubles musculosquelettiques (TMS), de la silicose ou de lymphomes liés à des facteurs de risques professionnels.

L’existence d’un tableau pour la maladie facilite les démarches. Pour les pathologies dites « hors tableaux », il faut présenter un dossier devant les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (C2RMP), aux critères complexes et parfois mouvants. « Depuis 2022, une nouvelle notice à la disposition des C2RMP permet de faire reconnaître plus facilement la BPCO comme une maladie professionnelle, par exemple si la personne a été exposée à des fumées de diesel, illustre Lydie Jablonski, présidente de l’Adevartois. C’est un facteur reconnu comme prioritaire par rapport à la consommation de tabac. »

Autre collectif spécialisé, l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva) a également élargi son périmètre d’action. « Parfois, l’amiante est l’arbre qui cache la forêt, mais il y a énormément d’agents cancérogènes, commente Carine Toutain, sa juriste. Des personnes venaient nous voir parce qu’elles avaient des plaques pleurales. Nous obtenions une indemnisation en lien avec leur exposition à l’amiante, mais il arrivait qu’elles souffrent d’autre chose du fait de leur travail. Or, pour les dossiers hors amiante, c’est plus complexe à faire reconnaître. »

En cas de refus des C2RMP, les associations accompagnent les salariés dans leur recours auprès du tribunal judiciaire. Elles demandent alors généralement une cotisation juridique en plus de l’adhésion, qui reste toutefois bien moins onéreuse que les honoraires d’un avocat. Leur rôle est « complémentaire à celui des syndicats et des élus des CSE », assure Nadine Herrero, présidente de la Fnath, qui représente les « accidentés de la vie ». « Eux sont en interne et peuvent nous aider car ils connaissent bien les produits utilisés, les gestes réalisés sur les postes. Nous avons nous les connaissances juridiques et les réseaux dans le monde scientifique, puisque nous siégeons à l’Anses, pour étayer les dossiers. » Par ailleurs, la Fnath propose des formations aux élus syndicaux qui jouent un rôle de conseiller au sein du pôle social du tribunal judiciaire.

Arracher des jurisprudences

Les cancers peuvent être particulièrement difficiles à faire reconnaître comme une maladie professionnelle, du fait des multi-expositions et de leur survenue à retardement. Mais la lutte des associations a conduit à ce que de plus en plus d’entre eux soient reconnus, comme le cancer des ovaires, dont le lien avec l’exposition à l’amiante a été prouvé. Si la phase dite de consolidation1 du cancer arrive au moment où la personne est en retraite, la reconnaissance en maladie professionnelle permet de bénéficier d’indemnités en plus de la pension. « C’est aussi arrivé que nous obtenions au tribunal que la personne perçoive sa rente avant la phase de consolidation pour qu’elle puisse y avoir droit avant son décès, notamment dans le cas d’expositions passées à l’amiante », rapporte la présidente de la Fnath.

Carine Toutain, de l’Andeva, se souvient avoir fait reconnaître une asbestose pulmonaire à l’origine de la mort d’un homme exposé à l’amiante en maladie professionnelle. Sa veuve a pu bénéficier d’une rente de conjoint survivant. Les deux associations sont présentes sur tout le territoire. Elles diffusent les jurisprudences arrachées au niveau national pour éclairer les situations partout en France, faciliter ainsi la reconnaissance et l’obtention d’indemnisations les plus conséquentes possibles. Elles ont aidé à faire admettre des maladies de Parkinson comme une maladie professionnelle du fait de l’exposition aux pesticides avant même que le tableau spécifique soit créé. En ce sens, leur combat rejoint celui des syndicats.

Faire grimper le taux d’incapacité

Une fois la reconnaissance de la maladie professionnelle acquise, les associations accompagnent les victimes pour contester le taux d’incapacité permanente partielle (IPP) décidé par l’assurance maladie, qui détermine le montant des indemnités. « Nous obtenons parfois jusqu’à 20% de plus », met en avant la présidente de la Fnath. L’aide des blouses blanches est précieuse pour compléter celle des juristes. L’Andeva recourt à l’association Ramazzini, qui regroupe une poignée de médecins du travail retraités bénévoles. Ils proposent leurs services aux associations de victimes d’expositions à des risques professionnels ou environnementaux et à des syndicats. La CFDT ou Solidaires, notamment, font appel à elle.

« Si les personnes se lancent seules dans une procédure de reconnaissance, elles ont très peu de chances de réussir, fait valoir Marie Pascual, médecin du travail de l’association Ramazzini, qu’elle a cofondée. Dernièrement, nous avons réussi à faire monter de 8 à 15% le taux d’incapacité permanente d’une personne qui a souffert d’une dépression dans le milieu hospitalier du fait de son travail. C’est important, car cela lui a ouvert le droit à une rente. »

Son homologue Lucien Privet estime que « la communauté de médecins conseils de l’assurance maladie, des C2RMP ou des experts judiciaires, est réticente depuis longtemps à reconnaître et à indemniser les victimes de maladies professionnelles. Mais il faut faire confiance à la justice. Les victoires que nous avons conquises, c’est grâce à des avis conséquents que nous avons réalisés et qui ont convaincu les juges ». Et de souligner par exemple l’obtention de la reconnaissance en maladie professionnelle d’un cancer du sein lié au travail de nuit.

Lutter contre la sous-déclaration

La contribution des associations a aussi pour but de lutter contre la sous-déclaration des maladies professionnelles. L’antenne du Pas-de-Calais de l’Andeva missionne Marie Pascual pour assurer des permanences auprès des salariés. « Il y a des personnes qui n’ont pas une maladie professionnelle, mais quatre ou cinq, entre les TMS, les cancers, la surdité et la BPCO… », rapporte la médecin. Il peut toutefois arriver que, dans des cas spécifiques, les associations les dissuadent d’entamer des démarches de reconnaissance. « Un manutentionnaire de 57 ans, par exemple, qui aurait les épaules en vrac et ne pourrait plus travailler, nous savons les difficultés qu’il rencontrerait à se reclasser, avance Nadine Herrero, de la Fnath. Alors, nous lui conseillerions de demander une pension d’invalidité plutôt que d’entamer une démarche de reconnaissance. » Nadine Herrero admet que « les syndicats tiquent ». « Cela nous désole aussi que ces cas échappent aux chiffres des maladies professionnelles, mais le système d’indemnisation est tellement inadapté que la rente  serait insuffisante pour que la victime puisse en vivre. »

En cas de licenciement pour inaptitude, les associations vérifient que le préavis a bien été payé et les indemnités légales doublées. Elles accompagnent également les naufragés du travail dans la reconnaissance du statut de travailleur handicapé, afin qu’ils bénéficient de l’aide à la reconversion professionnelle. Enfin, il arrive qu’à la demande des employeurs, les structures d’aide aux victimes interviennent dans les entreprises. Elles œuvrent ainsi à la prévention de la survenue des maladies professionnelles, via des témoignages, avec la force du vécu.

  • 1La consolidation d’un cancer intervient « lorsque les lésions se fixent et prennent un caractère permanent, sinon définitif, tel qu'un traitement n'est en principe plus nécessaire, et avec des séquelles entraînant une incapacité permanente », selon l’Assurance maladie.