Durcir les conditions d’accès à l’assurance chômage réduit le pouvoir de négociation des salariés en poste et des nouveaux embauchés. ©Tesson_Andia.fr
Durcir les conditions d’accès à l’assurance chômage réduit le pouvoir de négociation des salariés en poste et des nouveaux embauchés. ©Tesson_Andia.fr

Assurance chômage : pourquoi la réforme va aussi dégrader les conditions de travail

par Sabine Germain / 14 juin 2024

Quels sont les effets prévisibles de la prochaine réforme de l’assurance chômage sur les conditions de travail ? C’est la question que Santé & Travail a soumise à plusieurs experts, en marge de la conférence organisée le 11 juin 2024 par les cinq confédérations syndicales.

Malgré toutes les mises en garde, le projet de réforme de l’assurance chômage reste sur les rails : le 13 juin 2024, le Premier ministre, Gabriel Attal, a confirmé que le décret serait pris d’ici au 1er juillet, en pleine campagne électorale pour les législatives. Ce texte prévoit que, pour bénéficier d’une indemnisation chômage, un demandeur d’emploi devra avoir travaillé huit mois au cours des vingt derniers mois, au lieu de six mois dans les 24 derniers mois actuellement. Quant à la durée maximale d’indemnisation, elle sera réduite, passant de 18 à 15 mois, et de 27 à 22,5 mois pour les personnes d’au moins 57 ans.

L’assurance chômage amputée d’un quart

Ce sera la cinquième fois depuis 2017 que les conditions d’indemnisation seront « réformées », c’est-à-dire durcies. Maître de conférences en économie à l’Université Paris 1 et chercheur associé à Sciences Po, Michaël Zemmour a fait le compte : « L’assurance chômage, c'est 40 milliards d’euros de dépenses par an. Les quatre réformes engagées depuis 2017 ont déjà produit 7 milliards d’économies. Avec ce nouveau tour de vis de 4 à 5 milliards, les dépenses de l’assurance chômage auront été réduites en sept ans de 11 à 12 milliards d’euros par an : plus d’un quart de leur montant total. »
Le gouvernement en est convaincu : réduire la durée d’indemnisation et durcir ses conditions d’accès inciterait les chômeurs à reprendre un emploi. Les leaders des cinq grandes confédérations syndicales (CFDT, CGT, CFE-CGC, CFTC et FO) ont voulu rappeler que cette affirmation n’a aucun fondement scientifique en invitant, le 11 juin 2024, au Conseil économique, social et environnemental (Cese), quatre chercheurs de disciplines et d’obédiences différentes pour en débattre.  « Toutes ces réformes ont pour postulat que les personnes privées d’emploi sont responsables de leur situation, par défaut de motivation ou excès d’exigence, a souligné à cette occasion Claire Vivès, sociologue et ingénieure de recherche au Cnam. Elles tendent donc à délégitimer toutes leurs exigences en termes de rémunération, de conditions ou de temps de travail. Et à considérer que forcer les chômeurs à accepter n’importe quel emploi, c’est une façon de leur rendre service, puisque tout vaut mieux que le chômage.  »

Le plein d’emplois …de mauvaise qualité

Au lendemain de la conférence organisée par les syndicats, Santé & Travail a souhaité recueillir l’opinion d’autres experts, sur la question spécifique de l’effet de cette réforme sur les conditions de travail « Le gouvernement parle de plein emploi, mais il ne dit rien de la qualité de ces emplois », observe l’économiste Thomas Coutrot, ancien chef du département Conditions de travail et santé de la direction des études statistiques du ministère du Travail (Dares). L’enquête menée par cette direction en 2019 sur les conditions de travail fait apparaître que sept employeurs sur dix connaissent des difficultés de recrutement, et déplorent le manque de personnel qualifié. « En réalité, ce sont les employeurs qui, selon leurs propres déclarations à l’enquête, proposent les conditions de travail les plus difficiles qui ont le plus de mal à recruter », commente Thomas Coutrot.
Et, plus les salariés sont exposés à des produits chimiques dangereux, plus ils doivent travailler dans l’urgence ou gérer des situations tendues avec le public, plus les difficultés de recrutement de l’employeur augmentent. « Deux contraintes apparaissent encore plus déterminantes : les horaires et les conflits éthiques sur la qualité du travail, poursuit Thomas Coutrot. Proposer des horaires irréguliers et imprévisibles à au moins un salarié sur dix, comme dans la restauration, le nettoyage ou l’aide à domicile, équivaut à doubler le risque d’avoir du mal à recruter. » Sacrifier ainsi la qualité des emplois pour augmenter leur quantité, « c’est, en outre, risquer d’accroître les troubles de santé physique et psychique », prévient l’économiste.

Prétentions à la baisse

Et le risque de connaître des conditions de travail dégradées ne pèse pas sur les seuls salariés directement concernés. Comme l’a rappelé Michaël Zemmour le 11 juin, « les économistes s’accordent à dire que durcir les conditions d’accès à l’assurance chômage a pour effet de réduire le pouvoir de négociation des salariés en poste, aussi bien que des nouveaux embauchés ». Tout en ayant un effet très limité sur le retour vers l’emploi des chômeurs : « En Europe, une dizaine d’études évaluent l’effet médian à quatre jours pour un mois d’allocation, a expliqué Daphné Skandalis, économiste à l’Université de Copenhague, à nos confrères du magazine  Alternatives économiques. Dit autrement, si l’on réduit d’un mois la durée d’allocation, les demandeurs d’emploi accélèrent leur reprise d’emploi de quatre jours. » Mais à quel prix ? « Effectivement, lorsque la fin de de leurs droits approche, les demandeurs d’emploi envoient un nombre plus élevé de candidatures, poursuit Daphné Skandalis. Ils postulent alors à des offres d’emploi qui proposent des salaires plus bas ou qui ne sont pas adaptées à leurs compétences. On n’observe donc pas seulement une augmentation de l’effort de recherche d’emploi, mais aussi une réduction de leurs prétentions. »

 

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