« Attirer l'attention sur les accidents du travail »
Jour après jour, depuis janvier, ce professeur d'histoire-géographie recense les accidents du travail sur son compte Twitter @DuAccident. Son but : dénoncer l'ampleur du phénomène et, au-delà des chiffres, rendre justice aux victimes.
Vous décomptez depuis le début de l'année, sur votre fil Twitter @DuAccident, les accidents du travail qui surviennent en France (voir "Sur le Net"). Quels sont vos objectifs ?
Matthieu Lépine : En janvier 2016, Emmanuel Macron avait affirmé que la vie d'un entrepreneur était "souvent plus dure que celle d'un salarié", car "il peut tout perdre, lui". A la suite de la polémique suscitée par ces propos, j'avais créé une page Facebook sur laquelle je relayais les accidents du travail une fois par mois. Mais elle était peu consultée. En janvier dernier, les décès d'un livreur Uber Eats de 18 ans à Pessac, en Gironde, et d'un ouvrier sous-traitant de 68 ans à Versailles m'ont décidé à m'astreindre à un décompte quotidien, sur Twitter cette fois. Reprenant la démarche du journaliste David Dufresne, qui recense les violences policières avec allo @Place_Beauvau, j'interpelle la ministre du Travail, Muriel Pénicaud. La fréquentation de mon fil a alors commencé à grimper.
Je me suis fixé trois objectifs : aborder un sujet dont on parle peu et qui touche pourtant 600 000 personnes chaque année en France ; lutter contre l'"invisibilisation" des victimes du travail en leur donnant un prénom, un nom et en glanant un maximum d'informations sur les circonstances de l'accident ; enfin, alerter sur les risques liés aux nouvelles formes du travail, caractérisées par l'ubérisation et la précarité.
Quels sont vos principaux constats ?
M. L. : En huit mois, j'ai dénombré 675 accidents graves, dont 255 mortels. Sans surprise, les ouvriers du BTP sont les plus touchés ; ils représentent un tiers des victimes. Les chocs - avec une machine, un engin ou un outil - ainsi que les chutes sont les principales causes d'accident. Ce qui m'a étonné, c'est le nombre important de travailleurs de plus de 50 ans : près de 40 % des victimes d'accidents mortels ont dépassé cet âge. Par ailleurs, il me manque le nombre exact des cas liés à la sous-traitance, mais j'en ai vu beaucoup.
Reste que je ne repère pas tout, la presse en ligne étant ma seule source. Pour définir un accident du travail, j'ai mon propre cahier des charges, qui est différent de celui de l'Assurance maladie. Quand un livreur Uber Eats est tué sur la route, je considère que c'est un accident du travail, même si, juridiquement, c'est un accident de la route. Je peux également relayer le cas d'un chauffeur routier qui meurt en France sans être français. Ou celui d'un travailleur détaché. L'Assurance maladie ne les prend pas en compte, pas plus que les indépendants, les employés de la fonction publique, les travailleurs non déclarés... Dix millions de personnes se trouvent ainsi dans l'angle mort du recensement. Mon rôle n'est pas de me substituer aux inspecteurs ou aux médecins du travail, mais de rendre visibles des hommes et des femmes, des situations concrètes. Bref, d'attirer l'attention.
Quel est le retentissement de votre initiative ?
M. L. : Muriel Pénicaud ne m'a jamais répondu. Aucun parti politique n'est venu me solliciter. Je ne souhaite pas, de toute façon, que mon travail soit récupéré. En revanche, des syndicats m'ont interviewé pour leurs publications internes. Et des formateurs utilisent mon compte Twitter pour montrer aux jeunes quels sont les risques réels de certains métiers. Cela me suffit. Mon objectif est atteint.
Je vais essayer de poursuivre ce recensement jusqu'à la fin de l'année. Par la suite, je continuerai à m'intéresser au sujet, mais autrement : une enquête sur une histoire en particulier, des pétitions de grande ampleur... ou encore une démarche inédite, qui reste à inventer.
Le compte Twitter "Accident du travail : silence des ouvriers meurent" (@DuAccident) créé en janvier 2019 et suivi par plus de 14 000 abonnés, recense les accidents du travail graves, voire mortels, se produisant en France. Précédé de la mention "allo @murielpenicaud - c'est pour signaler un accident du travail", chaque tweet renvoie à un article en ligne annonçant ledit accident. Un bilan à six mois et une cartographie des accidents mortels sont également consultables.