AZF : responsables mais pas coupables
Avocate de victimes de la catastrophe d'AZF1 , Sylvie Topaloff a été choquée par la relaxe générale prononcée au terme d'un procès hors normes, où les manquements aux règles de sécurité de l'usine classée Seveso 2 ont pourtant été pointés.
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Survenue le 21 septembre 2001, l'explosion de l'usine AZF de Toulouse a provoqué la mort de 31 personnes.
En quoi la relaxe générale" au bénéfice du doute "prononcée le 19 novembre en faveur des dirigeants de la société Grande Paroisse, à l'issue du procès AZF, vous surprend-elle ?
Sylvie Topaloff : Cette décision est surprenante, puisqu'elle contient à la fois un terrible acte d'accusation contre AZF et un jugement exonérant l'industriel de toute responsabilité pénale au motif de l'absence de lien de causalité. D'un côté, les juges n'hésitent pas à parler de " fautes organisationnelles caractérisées ", " erreurs ", " tromperie ", " négligences " ; de l'autre, ils estiment qu'ils ne peuvent asseoir une condamnation pénale sur une hypothèse qui n'est que hautement probable. On pourrait se réjouir d'une application aussi stricte de la loi pénale, mais nous sommes dans une catastrophe industrielle où des preuves ont explosé en même temps que l'usine. Cela est d'autant plus choquant que le tribunal retient le fait qu'AZF, contrairement à ce qu'elle n'a cessé d'affirmer, n'a pas oeuvré dans le sens de la manifestation de la vérité : elle a dissimulé des éléments de preuve. On aurait tout aussi bien pu considérer que ses dissimulations signaient sa responsabilité pénale.
Dans ce dossier, Total a bénéficié d'un non-lieu et n'a donc pas été jugé. Pourtant, le bénéfice du doute est largement dû au brouillage des pistes provoqué par l'enquête interne de la multinationale. N'est-ce pas choquant ?
S. P. : Tout au long de l'instruction, les parties civiles ont sollicité la mise en cause de Total, soutenant qu'elles avaient toujours eu face à elles, comme adversaire, le groupe Total. Le jour même de la catastrophe, c'est bien le PDG de Total qui s'est déplacé en personne pour dire que tout serait mis en oeuvre afin de découvrir l'origine de l'explosion. De même, la législation Seveso, à laquelle était soumis l'établissement AZF, prévoit qu'en cas d'accident majeur l'exploitant est tenu d'enquêter sur ses circonstances et sur les substances dangereuses en cause. Or c'est à l'initiative de Total qu'a été mise en place la commission d'enquête interne. Donc, selon nous, l'implication du groupe était manifeste. En outre, force est de constater que Total a abusé de ce pouvoir d'enquête, c'est-à-dire d'une prérogative de puissance publique, pour interférer avec l'enquête judiciaire. Les enquêteurs diligentés par Total ont mené, avant la police judiciaire, des investigations comme l'interrogatoire de témoins essentiels. Et ils n'ont pas communiqué les éléments qu'ils ont découverts, entravant ainsi le bon déroulement de l'enquête judiciaire. On peut légitimement s'interroger aujourd'hui sur l'opportunité de l'enquête prévue par la législation Seveso, quand on voit l'usage dévoyé qui peut en être fait.
Dans le domaine pénal, le doute doit profiter à l'accusé. Mais, en matière de délit non intentionnel, ne faut-il pas aménager le mécanisme de la preuve, en y intégrant la notion de probabilité entre la faute et le dommage ?
S. P. : Dans l'absolu, sans doute, mais ici il n'était pas nécessaire de modifier ce système pour condamner aussi bien le directeur de l'établissement que son employeur, la société Grande Paroisse. Et je garde bon espoir qu'en appel cette décision soit réformée. Les juges de la cour d'appel peuvent faire une interprétation différente des faits eux-mêmes et juger que le lien de causalité est suffisamment certain. En quelque sorte, le chemin leur est ouvert par ce jugement qui est si sévère dans l'énoncé des fautes.