Bataille d'amendements sur le CHSCT
Lors de leur examen du projet de loi sur le dialogue social, des députés ont tenté d'éviter la dilution du CHSCT dans la délégation unique du personnel prévue pour les entreprises de moins de 300 salariés. Avec un bilan en demi-teinte.
Les députés ont adopté le 2 juin le projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi, et notamment ses articles 8 et 9, dont le contenu suscite encore de vives inquiétudes concernant la future capacité d'action des élus des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Le premier permet aux entreprises de 50 à moins de 300 salariés de regrouper délégués du personnelcomité d'entreprise (CE) et CHSCT au sein d'une délégation unique du personnel (DUP). Le second donne la possibilité aux entreprises de plus de 300 salariés de regrouper tout ou partie de ces instances représentatives du personnel par accord majoritaire. Jusqu'ici, la DUP était réservée aux entreprises de moins de 200 salariés et, surtout, elle n'incluait pas le CHSCT. La future DUP se réunira au minimum tous les deux mois, et au moins quatre de ces réunions porteront sur des sujets traités par le CHSCT. Beaucoup redoutent la dilution de l'organe chargé de la prévention des risques professionnels dans une instance unique.
Quelle place pour la santé au travail ?
"En période de crise, avec 5 millions de chômeurs, les questions économiques et l'emploi, qui relèvent du CE, risquent de reléguer au second plan la santé au travail et l'amélioration des conditions de travail, résume Alain Alphond-Layre, responsable national des questions du travail à la CGT. C'est un recul par rapport aux lois Auroux. Au contraire, le droit d'expression des salariés devrait être renforcé à un moment où de nombreux signes, comme l'explosion des troubles musculo-squelettiques et des risques psychosociaux, montrent que le travail est malade."
Le rapporteur du texte, Christophe Sirugue, député PS (Saône-et-Loire), s'est efforcé de rassurer en martelant son leitmotiv : "La DUP ne fusionne pas les instances. Chaque structure existante garde ses prérogatives. C'est un atout d'avoir un lieu unique pour permettre les échanges, puisque les orientations stratégiques et économiques de l'entreprise ne sont pas sans incidence sur les conditions de travail." Mais pour certains élus de gauche, le compte n'y est pas. "Lors du débat parlementaire, nous avons bataillé sur deux points essentiels : la préservation des compétences du CHSCT et celle de ses moyens de fonctionnement, afin que l'instance ne soit pas amoindrie, voire détournée de sa finalité de prévention par les employeurs", relate Christophe Cavard, député Europe Ecologie-Les Verts (Gard).
Un peu de lest a été lâché lors de l'examen du texte par la Commission des affaires sociales. Un poste de secrétaire adjoint a été créé pour assister le secrétaire de la DUP, mais sans que les tâches de l'un ou de l'autre soient spécialisées, comme le réclamaient plusieurs députés. La proposition de désigner au sein de la DUP des "référents" chargés de porter les sujets traités par le CHSCT, afin d'en garder la spécificité, n'a pas non plus été retenue. Un amendement, adopté contre l'avis du gouvernement, prévoit que les suppléants participent aux réunions de la DUP avec voix consultative. Pour Jacqueline Fraysse, députée Front de gauche (Hauts-de-Seine), cela représente une avancée mais ne règle pas le problème des moyens : "C'est une bonne chose que les suppléants puissent assister aux travaux et, en écoutant, se former. Mais cela ne les transforme pas pour autant en titulaires ! Moins d'élus et d'heures représentent une perte de compétences pour étudier les sujets complexes qui font le quotidien des CHSCT."
La question des moyens
Les discussions se sont donc cristallisées autour du nombre de délégués et d'heures de délégation. Selon l'étude d'impact réalisée par ses services, le ministre du Travail, François Rebsamen, avance que les "moyens seront les mêmes, voire supérieurs. Lorsqu'une entreprise compte entre 50 et 74 salariés et qu'il y a une DUP et un CHSCT, cela représente aujourd'hui 6 titulaires et 3 suppléants. Demain, la même entreprise comptera 5 titulaires et 5 suppléants". Les organisations syndicales ont fait leurs projections et "il y a des tranches où la perte en délégués et heures est conséquente", indique Alain Alphond-Layre. Une entreprise comprenant entre 100 et 124 salariés, ayant trois instances distinctes, a jusqu'à présent 12 élus titulaires. Ils ne seraient plus que 7 dans la DUP et perdraient 70 heures de délégation.
Plusieurs amendements demandant le maintien du nombre d'élus actuel ont été rejetés, au motif que la présence des suppléants comme la mutualisation et l'annualisation des heures renforcent globalement les moyens des représentants du personnel. "Aujourd'hui, 30 % des heures de délégation ne sont pas utilisées car elles sont nominatives", a précisé le rapporteur du texte. "Nous ne sommes pas convaincus que les moyens sont équivalents et que les élus, dans un système où les instances sont regroupées, seront à même de porter la prévention des risques professionnels et le débat sur les conditions de travail, déclare de son côté Hervé Garnier, secrétaire national CFDT en charge des questions du travail. A écouter le patronat, on peut en douter, tant le CHSCT est pour lui un caillou dans la chaussure qu'il a cherché à dissoudre."
Les parlementaires se sont aussi attardés sur le délai de convocation des réunions des DUP. Le texte prévoyait un délai de cinq jours, quelle que soit la thématique à l'ordre du jour, alors que les CHSCT sont aujourd'hui convoqués quinze jours avant leur réunion. Un amendement a été adopté pour faire passer le délai à huit jours, un moindre mal. Une expertise commune est également prévue pour les projets concernant à la fois le CE et le CHSCT. Avec la crainte que celle-ci soit centrée plus sur les questions économiques que sur la santé au travail. "Nous avons souhaité cadrer l'exercice de l'expertise afin de préserver la qualité de l'analyse sur les conditions de travail", explique Christophe Cavard. L'expert ou les experts menant ce travail commun devront être agréés par le ministère du Travail, comme le prévoit l'article L. 4614-12 du Code du travail.
Une approche par les seuils
En revanche, la proposition portée par les Verts et le Front de gauche de créer une délégation unique dans les entreprises de moins de 300 salariés sur la base du volontariat, par un accord entre partenaires sociaux, a été balayée. Au prétexte que la faible représentation syndicale dans ces entreprises ne le permettrait pas, selon le gouvernement. Pour Hervé Garnier, il aurait malgré tout fallu laisser le soin aux entreprises de s'organiser par accord majoritaire : "Cette approche par les seuils ne se justifie pas socialement. C'est une vision de la simplification absolument pas constructive. Alors que la DUP aurait pu être l'occasion de mettre le travail au même niveau d'enjeu que l'emploi et l'économie."
Cette ambition paraît lointaine, vu la façon dont le texte borde le fonctionnement de la DUP. Après l'échec des négociations interprofessionnelles, qui avaient achoppé notamment sur le sort du CHSCT, le gouvernement a proposé un projet de loi cherchant le compromis. Pour ne pas mettre le feu aux poudres du côté des représentants des employeurs, il a laissé peu de marges de manoeuvre sur les conditions d'absorption des CHSCT dans la délégation unique. Et a gardé son cap pendant ce premier round à l'Assemblée nationale.