La Belgique en retard sur la prévention
En Belgique, les cancers professionnels sont mal pris en charge, voire occultés. Une conférence-débat organisée à Liège en avril dernier a permis de réfléchir aux meilleurs moyens d'améliorer leur prévention et leur réparation.
La question des cancers professionnels serait-elle taboue en Belgique ? Le 28 avril dernier, à l'occasion de la Journée mondiale pour la sécurité et la santé au travail, le Centre de défense et d'action pour la santé des travailleurs, ou C-Dast (voir encadré), a décidé de rompre le silence en organisant une conférence-débat sur le sujet à Liège.
Au début des années 1990, si l'on en croit les résultats de l'enquête Carex1 , 700 000 travailleurs belges étaient exposés à des produits cancérogènes. Qu'en est-il aujourd'hui ? Difficile de le dire, tant il manque des données sur l'origine des cancers en Belgique. Depuis trente ans, il n'y a plus de cartographie précise du cancer. L'analyse des certificats de décès se fait en Flandres, mais pas en Wallonie. La médecine du travail ne transmet guère de données épidémiologiques. Quant au Fonds des maladies professionnelles (FMP), organisme paritaire chargé de leur indemnisation, il réalise des études mais ne les publie pas. Enfin, le plan cancer lancé en mars par le ministère de la Santé ne prévoit pas non plus de répertorier le risque professionnel.
Pour le C-Dast, le silence pesant sur ce risque nuit à sa prévention comme à sa réparation. L'association réclame un repérage des cancérogènes par entreprise, localisation et activité, afin d'en tirer des enseignements aux niveaux social, préventif, scientifique, juridique et réglementaire. Plusieurs substances sont mises en cause : amiante, fibres céramiques, silice cristalline, titane, mercure, rayonnements ionisants, cocktails chimiques ou alliages mal connus...
16 agents reconnus cancérogènes
" Chez nous, les ouvriers sont exposés au chrome, au nickel et au benzène ", détaille un médecin du travail d'Arcelor Mittal, numéro un mondial de la sidérurgie et l'un des principaux employeurs du bassin liégeois. Mais tous les cancérogènes ne sont pas traités comme tels. " Seuls 16 agents sont reconnus cancérogènes parmi les 140 recensés internationalement comme cancérogènes certains ", précise le Dr Jilali Laaouej, président du C-Dast. Et les cancers susceptibles d'être provoqués par une exposition au nickel ou au benzène ne figurent pas dans la liste des maladies professionnelles.
La procédure de reconnaissance des maladies professionnelles par le FMP est également méconnue et dissuasive. L'imputabilité des pathologies au travail s'avère souvent difficile à prouver, notamment du fait de difficultés pour retracer les expositions. " Nous demandons la reconstitution des parcours professionnels des patients victimes du cancer ", déclare ainsi le Dr Laaouej. La Fédération générale des travailleurs belges (FGTB), l'une des trois grandes confédérations syndicales, revendique de son côté un " passeport individuel d'exposition "
En attendant, seuls " 300 cancers professionnels sont indemnisés chaque année sur 2 000 à 3 000 nouveaux cas déclarés par an ", reconnaît Patrick Strauss, représentant de la FMP. Sachant que 55 000 cas de cancers sont diagnostiqués chaque année en Belgique. Il y a " une sous-déclaration généralisée des maladies professionnelles ", dénonce Marie-Anne Mengeot, membre de l'Institut syndical européen pour la recherche, la formation et la santé-sécurité, ex-journaliste de la télévision belge et auteure d'un livre sur le sujet : Les cancers professionnels. Une plaie sociale trop souvent ignorée. C'est donc le régime général d'assurance maladie qui indemnise. " Il faudrait faire payer les employeurs et non la collectivité ", s'indigne Francis Gomez, de la FGTB.
Mieux informer sur les risques
Face à cette situation, les participants au colloque du C-Dast - médecins, experts, syndicalistes, avocats, victimes... - ont plaidé pour une meilleure prévention des risques professionnels dans leur ensemble et du risque cancer en particulier. " Ne faudrait-il pas rendre contraignant l'avis des médecins du travail ? ", a proposé l'un d'eux. Pour Francis Gomez, il est nécessaire de leur reconnaître un rôle vis-à-vis de l'organisation du travail. Selon le Dr Laaouej, il faut déjà garantir l'indépendance de la médecine du travail en l'intégrant dans le système de santé publique. Il s'agit aussi d'assurer une meilleure information des salariés sur les risques. Marie-Anne Mengeot se souvient ainsi que des ouvriers de Coverit, à Mons, avaient appris les dangers de l'amiante qu'ils manipulaient depuis des années en voyant un de ses reportages. De son côté, la FGTB demande que les comités de prévention et de protection au travail (CPPT), équivalents belges des CHSCT, soient mieux informés sur l'utilisation et l'élimination des produits toxiques. Ces comités peuvent intervenir au niveau de la conception, de la vérification et de l'implantation de nouvelles machines, mais aussi recourir à des experts.
En Belgique comme en France, la prise en charge des risques professionnels rencontre de nombreux obstacles : chantage à l'emploi, primes de risque préférées à la prévention, externalisation des risques, absence de représentation du personnel dans les petites entreprises, manque de sensibilisation des travailleurs, équipes syndicales peu investies... Face au désarroi des victimes de cancers professionnels, Marie-Anne Mengeot propose de " mettre fin à l'impunité des employeurs " et cite en exemple la procédure de faute inexcusable utilisée en France. En Belgique, les victimes doivent prouver une faute intentionnelle de l'employeur, ce qui suppose, par exemple, un manquement à une mise en demeure préalable de l'inspecteur du travail. Encore faut-il que ces inspecteurs soient en nombre suffisant pour jouer ce rôle. En 2006, la Confédération des syndicats chrétiens signalait que 16 inspecteurs du Hainaut et du Brabant wallon se partageaient le contrôle de 31 950 entreprises... Il reste donc à faire évoluer la législation.
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L'enquête finlandaise Carex (pour Carcinogene Exposures) a porté sur les expositions aux cancérogènes en Europe dans les années 1990-1993. Ses résultats ont été publiés en 1998.