Bien, mais attention !
Le Collège des enseignants hospitalo-universitaires de médecine du travail souhaite saluer le rapport Lecocq, Dupuis et Forest et estime qu'il contient de nombreuses propositions qui mériteraient d'être mises en oeuvre rapidement pour une meilleure prise en charge de la santé des salariés. C'est le cas notamment de l'inflexion recommandée d'accorder la primauté à la prévention par rapport à la réparation - sans toutefois négliger cette dernière - ou encore de la volonté de simplifier le système de prévention. Nous jugeons nous aussi ce dernier peu compréhensible, tant pour les employeurs, notamment ceux des TPE-PME, que pour les salariés.
Nous sommes également favorables à l'intervention précoce du volet santé au travail dans le parcours de soins des patients ; c'est un élément fondamental du pronostic médico-professionnel ainsi que du maintien dans l'emploi des salariés rencontrant un problème de santé, qu'il soit ou non la conséquence d'expositions professionnelles. De même, nous soutenons la possibilité pour le médecin du travail d'enrichir le dossier médical partagé (DMP) du salarié, pour y faire part de ses préconisations en matière de maintien dans l'emploi et de suivi de santé après l'activité professionnelle (suivi postprofessionnel). Cela participera à une meilleure traçabilité des expositions et à une reconnaissance précoce des maladies professionnelles, afin de pouvoir les soigner plus efficacement et aussi de mieux les réparer.
Sans que cela nuise à la qualité du rapport, nos compétences et nos expériences multiples dans différentes régions et dans différents domaines des risques professionnels nous commandent toutefois d'adresser une mise en garde vis-à-vis de certaines propositions qui peuvent aboutir à l'effet inverse de celui annoncé.
Tout d'abord, les missions du médecin du travail ne doivent pas se limiter au suivi individuel de santé systématique et au maintien en emploi des salariés (recommandation no 7, page 19 du rapport). Les praticiens du travail sont les seuls à avoir la triple connaissance de l'état de santé du salarié, des effets des expositions professionnelles et de la réalité des métiers. Ils sont donc les seuls à pouvoir réaliser une évaluation globale de la situation médico-socio-professionnelle réelle des salariés intégrant, d'une part, les données de santé, y compris les vulnérabilités individuelles (pathologies sous-jacentes, antécédents...), le niveau d'incapacité fonctionnelle et ses retentissements sur les capacités de travail le cas échéant, et, d'autre part, les données sur les conditions réelles de réalisation du travail : organisation générale du travail, contraintes biomécaniques, psychosociales et organisationnelles, marges de manoeuvre existantes ou envisageables et obstacles au retour au travail. Enfin, ils sont les seuls également à pouvoir apprécier la situation sociale et les conséquences des décisions, notamment celles relatives au maintien en emploi.
Ensuite, le médecin du travail, compte tenu de sa formation, tant médicale que pluridisciplinaire dans le champ de la santé au travail, est un acteur clé de la prévention secondaire et tertiaire bien sûr, mais également primaire. En cela, il dispose de la compétence et de la légitimité pour coordonner les équipes pluridisciplinaires de la santé au travail et ne doit pas être assigné à un rôle de simple satellite autour de cette équipe. Enfin, ne perdons pas de vue que l'action du médecin du travail est encadrée par un code de déontologie, inscrit dans le Code de la santé publique et qui offre des garanties fondamentales quant au respect de la protection de la vie et de la dignité des personnes.
Par ailleurs, ce rapport voit resurgir une très vieille recette à propos du recours aux médecins généralistes pour assurer le suivi de santé au travail de certaines populations, comme les salariés des particuliers employeurs. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous considérons toujours que cette solution n'est ni adaptée ni scientifiquement justifiée. De deux choses l'une : soit ces personnels ont besoin d'un suivi médical, alors celui-ci doit être adapté au risque et seul un professionnel de la santé au travail doit le réaliser ; soit ces personnels n'en ont pas besoin et, dans ces conditions, pourquoi vouloir en créer un en le confiant à des généralistes, qui plus est déjà passablement débordés ?
Si ces éléments ne sont pas pris en compte, nous avons toutes les raisons de penser que l'amélioration de l'attractivité du métier de médecin du travail annoncée par les auteurs du rapport ne sera pas au rendez-vous.
Enfin, le rapport aborde peu le sujet de la recherche en santé au travail. Or celle-ci souffre d'un déficit pérenne malgré la qualité de la recherche en France dans des domaines tels que l'épidémiologie des risques professionnels, la toxicologie, l'ergonomie, la psychopathologie du travail, la sociologie des organisations... Un soutien fort à la recherche doit être apporté dans ces différentes disciplines. C'est fondamental aussi pour la qualité de la santé au travail et de la prévention des risques professionnels.