Bilan en demi-teinte pour les accords seniors

par Ivan du Roy / avril 2012

La prévention des pénibilités n'a pas été traitée en priorité dans les accords seniors, censés faciliter le maintien en activité des salariés âgés. Mais le dispositif a permis aux entreprises déjà actives sur cette question de persévérer.

A quelles conditions peut-on travailler plus longtemps ? Cette question se pose avec acuité, notamment pour les salariés vieillissants, suite à l'allongement de la durée de vie au travail consécutif aux réformes successives des retraites. Face à ce problème, la première réponse de l'Etat a été d'obliger les entreprises de plus de 50 salariés à signer un accord ou à mettre en oeuvre un plan d'action relatif à l'emploi des salariés âgés, sous peine de pénalités. Un dispositif instauré par la loi de financement de la Sécurité sociale de 2009. Au cours de l'année 2010, environ 34 000 accords et plans d'action ont ainsi été formalisés au sein des entreprises, auxquels s'ajoutent 88 accords de branche. Seules 200 entreprises ont dû s'acquitter de la pénalité. Une " mobilisation " dont Laurent Wauquiez, le secrétaire d'Etat en charge de l'Emploi, s'était alors réjoui.

Repères

La population des personnes âgées de 55 à 64 ans a plus que doublé en cinq ans en France. Mais le taux d'emploi des 60-64 ans dans notre pays reste encore un des plus faibles d'Europe (18 %). Celui des 55-59 ans s'inscrit juste dans la moyenne de l'Union européenne (60 %).

Les conditions de travail en queue de peloton

Mais au-delà de cette réussite comptable, quel est le contenu de ces accords et plans d'action ? Un premier inventaire, publié en septembre 2011, a été réalisé dans 116 entreprises par la direction de l'Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares) du ministère du Travail. Dans les accords et plans d'action, les entreprises doivent aborder au moins trois des six domaines fixés par la loi : recrutement de salariés âgés ; évolution des carrières professionnelles ; amélioration des conditions de travail et prévention des pénibilités ; développement des compétences et accès à la formation ; aménagement des fins de carrière ; transmission des savoirs. Selon l'inventaire de la Dares, les deux domaines rencontrant le plus de succès sont le développement des compétences et l'anticipation de l'évolution des carrières professionnelles, abordés par trois entreprises sur quatre. Le recrutement de salariés âgés, mis en avant par une entreprise sur trois, ainsi que l'amélioration des conditions de travail et la prévention des pénibilités, traitées par à peine la moitié des entreprises, arrivent derniers.

Une répartition que l'on retrouve dans les observations menées par les Agences régionales pour l'amélioration des conditions de travail (Aract) ou les Associations pour la formation professionnelle des adultes (Afpa). Mais qu'en est-il des accords et plans qui ont décidé d'axer leurs efforts sur les conditions de travail ? Les inventaires précédents ne livrent pas d'enseignement sur le contenu concret des mesures prévues par les entreprises, ni sur la réalité de leur mise en oeuvre. " Sans connaître le contexte exact de l'entreprise, il apparaît difficile, à la seule lecture de l'accord ou du plan, d'apprécier l'ampleur des efforts envisagés par les signataires ", précise ainsi la Dares.

Une lacune que le Conseil d'orientation sur les conditions de travail (Coct) a voulu combler, en demandant une étude plus précise, confiée à un groupe de chercheurs1 . Remise fin février, cette étude sur " les conditions de travail dans les accords et plans d'action seniors " a été élaborée sur la base de visites effectuées auprès de 13 entreprises. " Des établissements où nous savions que des actions étaient mises en oeuvre. L'étude n'est donc pas révélatrice de ce qui se passe ailleurs ", avertissent les auteurs. Les entreprises qui ont accepté d'ouvrir leurs portes constituent le haut du panier en matière de politique sur les seniors. Elles sont de tailles et de secteurs divers. Plusieurs emploient entre 700 et 3 500 personnes, dans l'aéronautique, la sous-traitance automobile, la construction navale ou la chimie. D'autres sont des PME intervenant dans le bâtiment, la métallurgie ou la relation client. Certaines ont même moins de 50 salariés et n'étaient donc pas soumises à l'obligation de conclure un accord.

C'est le cas d'une PME familiale de 35 salariés, spécialisée dans l'installation de stores et de volets roulants. " Avec des seniors qui, si on ne trouve pas de solutions, seront licenciés pour inaptitude ", explique Laurence Théry, de l'Aract Picardie. Afin de préserver les salariés expérimentés mais âgés en difficulté sur les chantiers, des fonctions nouvelles ont été créées : un service après-vente et un dispositif de tutorat pour compléter la formation des jeunes embauchés. Ce dernier dispositif présente néanmoins des limites. Dans un premier temps, c'est bien souvent le tuteur qui, de fait, est contraint d'exécuter les tâches pénibles, l'apprenti restant en position d'observateur.

Postes légers

Les auteurs constatent " une diversité des pratiques ". Un site industriel a ainsi dressé une cartographie des postes dits " légers ", susceptibles d'accueillir des salariés ayant certaines inaptitudes, avec la volonté d'analyser les pénibilités. Dans le secteur de la chimie, une entreprise lyonnaise a décidé de réintégrer des postes de jour, laissés à la sous-traitance, pour permettre à des salariés âgés, contraints au travail de nuit, de changer de rythme. Un système de dégressivité pour la perte de la prime de nuit a même été pensé. Un centre d'appels, qui souhaite embaucher des seniors, a allongé le temps de formation et d'accompagnement. Les postes prévus sont moins confrontés aux aspects conflictuels de la relation client. " Agir en sorte que les seniors ne fassent pas figure de salariés au rabais est un objectif récurrent dans les actions observées ", souligne l'étude.

Plusieurs facteurs expliquent l'apparition de ces " bonnes pratiques " : l'existence d'un dialogue social actif, un engagement de la direction sur ce sujet avant l'entrée en vigueur du texte et la présence d'acteurs - ici un médecin du travail, là un ergonome - qui font de la loi un levier. " Ces dispositifs ne sont pas forcément faits pour éviter les pénalités. Ils existaient avant la loi et se sont étoffés ", signale Laurent Caron, de l'Aract Picardie. Avec un écueil : " Il peut exister une réelle attention à la pénibilité, mais pas forcément de meilleur suivi médical à cause du manque de médecins du travail ", regrette Annie Jolivet, de l'Institut de recherches économiques et sociales (Ires).

La loi a donc servi d'accélérateur là où cette préoccupation existait déjà, que ce soit pour préserver des salariés vieillissants ou alléger les pénibilités pour l'ensemble du personnel. Reste que cela concerne une poignée d'entreprises. Ailleurs, c'est l'inconnu. " Certains accords ou plans ressemblent à une liste de courses, ironise Annie Jolivet. Et l'Etat n'a pas les moyens de mettre en place un mode de contrôle efficace. Nous ne pouvons pas savoir ce qui se passe autrement qu'en allant sur le terrain. " Une nouvelle mission pour l'Inspection du travail ? Autre inconnue : l'effet qu'aura sur ces accords et plans d'action seniors le nouveau dispositif sur la prévention de la pénibilité, lui aussi assorti d'une obligation de négocier pour les entreprises de plus de 50 salariés ayant 50 % de leurs effectifs exposés à certains risques.

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    Laurent Caron, Elise Effantin et Laurence Théry (Aract Picardie), Fabienne Caser (Anact), Catherine Delgoulet (université Paris-Descartes), Annie Jolivet (Ires) et Serge Volkoff (Centre de recherche et d'études sur l'âge et les populations au travail, Créapt).

Sur le net
  • " Les accords collectifs d'entreprise et plans d'action en faveur de l'emploi des salariés âgés : une analyse de 116 textes ", par C. Claisse, C. Daniel et A. Naboulet, Document d'études n° 157, février 2011, Dares. Disponible sur www.travail-emploi-sante.gouv.fr

  • Les conditions de travail dans les accords et plans d'action "seniors", par L. Caron et alii, étude pour le Conseil d'orientation sur les conditions de travail, février 2012. Téléchargeable sur www.cestp.aract.fr