Bon dimanche ?
Ce dimanche, Michel devait fêter ses 70 ans en famille. Mais la grande surface où il travaille vingt heures par semaine lui a demandé avec insistance de prendre le poste de l'après-midi. Il sera donc coincé au rayon bricolage de midi à 20 heures, au moins. Un poste qu'il déteste, car il sait qu'il va devoir affronter seul l'impatience des clients, courir en tous sens pour approvisionner les rayons et, à son âge, la charge de travail, tant physique que psychique, devient de plus en plus pénible à supporter. Cette fois, il a bien essayé de refuser, mais son manager lui a aussitôt fait remarquer que ce serait "ballot de perdre ce job, si près du but" ; il ne lui reste en effet plus que quelques mois à "tirer" pour pouvoir bénéficier de sa retraite à taux plein. Alors, Michel a remballé ses bougies, sa fierté et son dimanche en famille...
Fiction ? Rien n'est moins sûr après les débats qui ont agité le Parlement ces dernières semaines autour de la possibilité de travailler jusqu'à 70 ans et de l'ouverture des commerces le dimanche. Cela laisse entrevoir des scénarios assez sombres pour les conditions de vie et de travail.
Pour beaucoup de salariés usés, fatigués ou malades, l'important n'est pas d'avoir le droit de travailler jusqu'à 70 ans, mais bien de savoir si leur état de santé leur permettra de se maintenir dans leur emploi le temps d'avoir tous leurs trimestres. Avec l'allongement de la durée de cotisation votée en 2003, ce n'est pas gagné, tant cette mesure apparaît de plus en plus incompatible avec les mauvaises conditions de travail qui perdurent dans les entreprises. Après l'échec des négociations entre les partenaires sociaux sur la pénibilité, n'était-il pas plus opportun de donner un autre signal que celui de la retraite à 70 ans ?
A propos du travail du dimanche, tout a été dit par les députés - de l'opposition comme de la majorité - hostiles au projet, que ce soit sur les dangers pour la cohésion sociale ou sur l'hérésie économique de la mesure voulue par le président de la République. Ajoutons simplement que cette disposition dégraderait davantage les conditions de travail dans le commerce et la distribution. Déjà confrontés à la difficulté de concilier des horaires atypiques, imprévisibles et morcelés avec les impératifs de la vie familiale, les salariés du secteur verraient s'aggraver immanquablement leurs conditions de vie personnelle. Or ces derniers n'ont pas besoin de cela.
A plusieurs reprises, dans nos colonnes, nous avons tiré la sonnette d'alarme sur l'explosion des inaptitudes médicales consécutives à des troubles musculo-squelettiques ou des lombalgies, sur la maltraitance managériale et le harcèlement stratégique qui sévissent dans le commerce et la distribution. A moins d'avoir une sacrée dose de naïveté ou de mauvaise foi, qui peut encore oser prétendre que le travail du dimanche se fera sur la base du volontariat ?
Mais au-delà, l'affaire du travail dominical nous invite à nous interroger sur les limites d'une "société de consommateurs". Comme le montre notre enquête, à trop vouloir faire du client un roi, tout en conservant une organisation du travail très rigide, ce sont les travailleurs qui paient la note.