Bras de fer sur les pesticides
Armée d’une décision de justice obtenue mi-mai, l'association Générations futures demande à l’Anses d’interdire certains produits à base de glyphosate. Dans le même temps, le Sénat a voté un texte visant à redonner la main au gouvernement sur les autorisations de pesticides, qui pourrait limiter les prérogatives de l’agence.
Saisi par l’association Générations futures, le tribunal administratif de Montpellier a annulé le 12 mai dernier le renouvellement d’autorisation de mise sur le marché (AMM) de deux herbicides de la firme Syngenta formulés à base de glyphosate. Motif de la décision : l’industriel n’a ni réalisé ni transmis d’évaluation des risques pour les vertébrés et arthropodes terrestres. Forte de ce jugement, l’association de défense de l’environnement a aussitôt demandé à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) de retirer les AMM de tous les pesticides à base de glyphosate n’ayant pas fait l’objet d’évaluation des risques pour les organismes vivants. En 2021, une expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a notamment confirmé une présomption de lien entre l’exposition professionnelle au glyphosate et au moins deux pathologies, le lymphome non hodgkinien et le myélome multiple. Outre les associations écologistes, la communauté scientifique est largement convaincue de la toxicité pour la santé humaine et la biodiversité des produits chimiques utilisés en agriculture.
L’Anses sur la sellette
Face aux tenants d’un modèle agricole productiviste, cette victoire de Générations futures pourrait ne pas porter ses fruits. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) est en effet sur la sellette et risque de voir ses prérogatives amputées. En charge depuis 2015 de l’évaluation des risques pour la délivrance ou le retrait de l’AMM des produits phytosanitaires, elle a aussi pour mission depuis 2021 de réaliser des expertises collectives destinées à l’élaboration des tableaux de maladies professionnelles. A l’occasion d’une proposition de loi sur la compétitivité de l’agriculture, les sénateurs ont voulu limiter les marges de manœuvres de l’agence. Le 16 mai, le Sénat a voté à la majorité, contre l’avis du gouvernement, un article permettant au ministre de l’Agriculture de contrecarrer les décisions de l’Anses en matière d’interdiction d’un pesticide ou de limitation de son usage. Un retour à la situation d’avant 2015, celle d’un ministère tout puissant et agissant dans l’opacité. Les résultats de cette configuration ont pourtant été désastreux. La pollution des Antilles au chlordécone, un insecticide utilisé massivement dans les bananeraies, et l’explosion consécutive des cas de cancers de la prostate parmi les travailleurs agricoles martiniquais ou guadeloupéens en sont un triste exemple.
L’argument de la « souveraineté alimentaire »
Adoptée en première lecture par les sénateurs, la mesure doit poursuivre son parcours parlementaire avant de faire force de loi. Une éventualité loin d’être négligeable. Ce vote au Sénat intervient dans un contexte d’intense crispation entre le ministre de l’Agriculture et l’Anses, dont l’indépendance paraît plus menacée que jamais depuis sa création en 2010. Le ministre Marc Fesneau malmène l’agence depuis plusieurs mois au nom de la « souveraineté alimentaire » de la France, lui enjoignant même de revoir sa copie quand celle-ci lui déplaît. Il n’a pas hésité à demander à l’agence de revenir sur son intention d’interdire le S-métolachlore, un herbicide cancérogène qui pollue les nappes phréatiques, ainsi que les tablettes de phosphine en contact direct avec les céréales. Ce gaz est pourtant toxique par inhalation pour les poumons, le foie et les reins. L’Anses a cédé pour la phosphine, autorisant à nouveau le 23 avril cet insecticide sans restriction. Elle a en revanche maintenu l’interdiction du S-métolachlore pour la plupart des usages de cet herbicide.
Sentinelles des risques environnementaux
Inquiète de ce bras de fer, l’association Phyto-Victimes, qui assiste les agriculteurs souffrant de maladies causées par les pesticides, rappelle que les agriculteurs sont les « sentinelles des risques environnementaux ». Ils sont les premières victimes de pathologies « transposables aux riverains et à la population générale ». Si l’association estime important de défendre les intérêts économiques de la France face aux concurrents européens, elle précise que cela ne doit pas se faire « au mépris de la santé ».