Caisses vides
Les slogans contre la vie chère et pour la défense du pouvoir d'achat, les salariés de la grande distribution les entendent à longueur de journée dans leur magasin. Avec de plus en plus souvent le sentiment que cette stratégie de communication des grandes enseignes se fait en large partie sur leur dos. Ils cumulent en effet des conditions de travail particulièrement pénibles et des salaires particulièrement bas. Ils symbolisent ce que les sociologues appellent désormais les " travailleurs pauvres ". Plutôt des travailleuses d'ailleurs. Contraint(e)s d'habiter des banlieues lointaines en raison des loyers prohibitifs des centres-ville, condamné(e)s aux temps de transport à rallonge, elles ou ils subissent le plus souvent des temps partiels imposés. Cela signifie trois petits chiffres, seulement, en bas de la feuille de paye qui les obligent, dès le milieu du mois, à jongler avec leur banquier, leur famille et les amis qu'il faut bien mettre à contribution. Juste pour survivre.
Travailler plus ? Elles ou ils ne demandent que ça. Sauf qu'on ne le leur propose pas. Les temps partiels garantissent aux supermarchés une main-d'oeuvre taillable et corvéable à merci. D'abord, une plus grande disponibilité permet d'ajuster les effectifs au plus près de l'affluence des magasins. Et puis, c'est un moyen de combattre la syndicalisation : toujours dans l'espoir de quelques heures complémentaires pour boucler les fins de mois, les salarié(e)s savent qu'il leur faut rester dociles pour que leur téléphone sonne. Evidemment, cela rajoute à la pénibilité " naturelle " du travail dans ces métiers. Aux quatre tonnes de marchandises manipulées quotidiennement par une caissière, aux gestes répétitifs, aux contraintes de temps et au stress engendrés par des clients impatients, vient s'ajouter un temps de présence dans le magasin bien supérieur au temps de travail. Difficile en effet, quand on habite loin, de retourner chez soi lors d'une pause de trois heures entre deux services. Difficile d'avoir un autre emploi pour compléter ses revenus. Difficile même d'organiser sa vie familiale avec des horaires très fluctuants d'une semaine sur l'autre.
Les conséquences sur la santé ne sont pas minces. Les médecins du travail de ce secteur ont alerté la Fédération du commerce et de la distribution sur le nombre de lombalgies et de troubles musculo-squelettiques, ainsi que sur la progression inquiétante des inaptitudes.
Par-dessus le marché, les salarié(e)s souffrent d'un manque de reconnaissance et de brimades quotidiennes. Ici, le harcèlement stratégique devient parfois une méthode de management, comme l'a dénoncé Dorothée Ramaut, dans son ouvrage Journal d'un médecin du travail
Alors, le 1er février dernier, les clients des grandes surfaces ont trouvé les caisses vides. Caissières, manutentionnaires, employés des têtes de gondole ont fait grève pour protester contre leurs conditions de travail. Contre leurs conditions de vie.
Peut-être une sorte de pied de nez aux fameuses " caisses vides " chères au président de la République. Plus sûrement, le début d'une action collective pour construire leur santé.