Cancer du foie : un nouveau tableau corseté
La création d'un tableau de maladie professionnelle permettant d'indemniser les carcinomes hépatocellulaires liés au chlorure de vinyle monomère n'est pas une si bonne nouvelle. Car sa rédaction, très critiquée, en restreint l'accès et pourrait faire école.
Depuis le 5 mai dernier, date de parution du décret n° 2017-812 au Journal officiel, le carcinome hépatocellulaire est reconnu comme maladie professionnelle. Mais ce qui aurait dû faire figure d'avancée pour les salariés exposés au chlorure de vinyle monomère (CVM), substance classée cancérogène et principalement utilisée dans la fabrication de plastique (PVC), risque d'être illusoire.
L'angiosarcome hépatique figurait déjà dans le tableau 52 des maladies professionnelles, relatif aux affections provoquées par le CVM. Avec la création d'un tableau 52 bis, le carcinome hépatocellulaire, un autre cancer du foie, est donc à son tour indemnisable. Sauf que les pouvoirs publics semblent avoir corseté les conditions à remplir pour en permettre la reconnaissance et l'indemnisation
Deux lésions supplémentaires
Comme pour l'angiosarcome hépatique, le délai de prise en charge est fixé à trente ans, une durée jugée arbitraire et insuffisante en matière d'apparition de la pathologie, car il n'est pas rare que celle-ci se déclare quarante ans après la première exposition. Une autre condition ajoutée fait débat. La reconnaissance du carcinome hépatocellulaire, indique le décret, ne pourra être établie que si le cancer primitif est associé à au moins deux lésions supplémentaires du foie figurant parmi une liste de cinq inscrites dans le texte. Ces deux atteintes, telles que la fibrose ou l'hyperplasie, ne sont pas liées au cancer primitif, mais peuvent être entraînées par l'exposition au CVM. Autant dire qu'il existe une surcharge de restrictions, dénoncent la plupart des experts syndicaux que nous avons sollicités. Sans compter que le président du groupe de travail, le toxicologue Robert Garnier, qui a préparé le rapport préalable à la rédaction du décret, ne semble pas franchement convaincu par cette disposition. "La discussion a retenu deux lésions, même s'il [Robert Garnier, NDLR] ne défend pas spécifiquement cette thèse", peut-on ainsi lire dans l'un des comptes-rendus que nous nous sommes procurés.
Pour le Dr Alain Carré, qui a siégé à la commission des pathologies professionnelles du Conseil d'orientation des conditions de travail (Coct) au moment de la préparation de ce nouveau texte, "on assiste à une nouvelle pratique du ministère du Travail qui vise à rigidifier le diagnostic médical pour mieux sélectionner les victimes indemnisables. On a déjà connu cela avec la révision du tableau 57 A sur les troubles musculo-squelettiques de l'épaule, avec une baisse immédiate du nombre de personnes reconnues et indemnisées. C'est une façon habile de remettre en cause le principe dit "de présomption d'imputabilité" du système de réparation des maladies professionnelles et de préparer sa disparition".
Même tonalité du côté de la médecin du travail Marie Pascual, elle aussi ex-membre de la commission des pathologies professionnelles, qu'elle a quittée tout récemment : "La complexification de la définition médicale de la maladie n'est pas justifiée scientifiquement, déplore-t-elle. Mais les représentants syndicaux de salariés qui participent aux groupes de travail de la commission ne sont pas à armes égales face à ceux des organisations patronales, qui disposent de moyens autrement plus importants."
"Un recul redoutable"
"A cause de ce tableau, la reconnaissance du carcinome hépatocellulaire pour les travailleurs exposés au CVM sera rendue plus difficile, s'indigne Jean-Claude Zerbib, un expert de la réparation des maladies professionnelles qui aide les victimes à établir leur dossier. C'est un recul redoutable. Si le tableau n'est pas contesté, il servira de modèle pour en produire d'autres tout aussi stériles."
Un message reçu cinq sur cinq par la Fnath (Association des accidentés de la vie), qui souhaite engager un recours devant le Conseil d'Etat. En effet, aux yeux d'Arnaud de Broca, son secrétaire général, le tableau 52 bis semble "juridiquement contestable quant aux règles de reconnaissance des maladies professionnelles et médicalement discutable au regard des études qui ont conduit à sa rédaction"