Le cancer de la prostate, bientôt une maladie professionnelle ?
C’est une première : les syndicats ont demandé unanimement la création d’un tableau pour la reconnaissance en maladie professionnelle du cancer de la prostate en cas d’exposition aux pesticides. Comme le recommande un rapport récent de l’Agence nationale de sécurité sanitaire.
Le plus fréquent des cancers, celui de la prostate, sera-t-il la prochaine maladie professionnelle officiellement due aux pesticides1 ? C’est le souhait des organisations syndicales de salariés au sein de la commission maladies professionnelles du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct). « Pour le moment, du côté du régime général de la Sécurité sociale, il n’y a pas de tableau qui relient les pesticides à une quelconque maladie professionnelle, détaille Jean-Luc Rué, représentant de la CFDT au sein de cette commission. Par contre, il y a un consensus – et des tableaux – du côté du régime agricole pour deux pathologies : le lymphome non hodgkinien et la maladie de Parkinson, qui sont reconnues comme pouvant être liées aux pesticides. »
« Un excès significatif et reproductible »
« Nous souhaitons qu’il en soit de même pour les travailleurs exposés aux pesticides et atteints de cancers de la prostate, et avons donc déposé une proposition de tableau ce 6 juillet 2021 », poursuit Jean-Luc Rué. Pour ce faire, les syndicats se sont appuyés sur un avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), rendu public le 2 juillet dernier. Un document lui-même inspiré d’une revue d’études publiée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) à la fin du mois de juin. « L’Anses conclut qu’il existe un excès significatif et reproductible de cancer de la prostate chez les populations exposées aux pesticides, résume Jean-Luc Rué. Etant donné que plusieurs centaines de milliers de travailleurs (au régime général comme en droit public) sont exposés, un tableau de maladie professionnelle est légitime2
. »
Le nombre de métiers concernés, hors régime agricole, est réellement vertigineux : des dockers aux jardiniers et paysagistes en passant par les secteurs du textile, du traitement des eaux, du nettoyage et les métiers du bois ou encore les professions liées aux soins des animaux, à la fabrication du papier, à la filière des déchets, à l’entretien des hippodromes et des golfs, etc. Bref, une multitude de situations à risques qui pourrait, au moins en partie, expliquer la très forte progression des cas de cancers de la prostate en France : + 4,8 % par an, selon l’Association française d’urologie.
Une liste « indicative » de métiers concernés
Malgré ces chiffres alarmants, il n’est pas sûr que le gouvernement suive les recommandations de l’Anses et réponde à la requête des syndicats. « Le rapport de force est très défavorable aux salariés », constate Jean-Louis Zylberberg, médecin du travail et représentant de la CGT au sein de la commission maladies professionnelles du Coct. Une instance où l’on retrouve également des représentants du Medef, de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et du ministère de l’Agriculture. « Ce qui va coincer, c’est le fait d’avoir une liste "indicative" de métiers concernés par ce risque professionnel, et non "limitative", estime Jean-Louis Zylberberg. De même que le délai de prise en charge que nous demandons : 40 ans. »
Aujourd’hui, très peu de reconnaissances
Plutôt pessimiste, il ne pense pas qu’il y aura un nouveau tableau, mais plutôt des recommandations ajoutées dans le guide pour les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). « Ce sont eux qui instruisent les demandes de reconnaissance pour les maladies hors tableaux », précise le médecin. Mais les démarches qu’impose le recours aux CRRMP sont complexes et clairement rédhibitoires, a fortiori pour des personnes malades. « La présomption d’origine professionnelle de la maladie ne s’applique pas contrairement au système de reconnaissance par tableaux, souligne l’Anses. La personne doit alors apporter la preuve du lien direct et/ou essentiel entre sa maladie et l’exercice habituel de son travail. » Résultat : le nombre de demandes de reconnaissance du cancer de la prostate en maladie professionnelle est particulièrement faible – douze entre 2011 et 2018. Le nombre de cancers reconnus encore plus : trois entre 2011 et 20183 .
- 1Au total, le cancer de la prostate représente aujourd'hui 25 % des cancers masculins. Il est le premier cancer tous sexes confondus. Un homme sur 8 développera un cancer de la prostate avant l'âge de 75 ans, selon l’Association française d’urologie.
- 2Pour l’Anses, il faudrait également insérer un tableau dans le régime agricole. Mais ce sera à la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (Cosmap) de statuer.
- 3Chiffres issus de l’avis de l’Anses et du rapport de l’Inserm.